L’écoute musicale au domicile au service des personnes atteintes de maladie d'alzheimer et de leurs aidants

INTRODUCTION

1. EPIDEMIOLOGIE, ENJEUX DE SANTE PUBLIQUE ET ROLE DU MEDECIN GENERALISTE

Les troubles neurocognitifs, première cause de dépendance des personnes âgées, sont largement dominés par la maladie d’Alzheimer (MA).

Dans le monde, la MA touche environ 50 millions de personnes avec un nouveau cas diagnostiqué toutes les 3 secondes (1–3). En France, près d’un million de personnes sont atteintes de MA ; trois millions si l’on inclut les proches indirectement touchés par cette maladie (4,5).

L’âge est le premier facteur de risque de la MA. Avec l’augmentation de l’espérance de vie, le nombre de personnes malades ne cesse de progresser : les estimations prévoient un doublement de la prévalence tous les 20 ans.

Les démences ont des conséquences sociales et économiques importantes, notamment en termes de coûts médicaux, de dépense sociale et de frais engagés pour les soins informels (6). En France comme à l’étranger, les démences sont considérées comme une priorité de santé publique et représentent un défi pour les systèmes de santé et les politiques de recherche, tant leur impact attendu est majeur. Sachant que la majorité des personnes souffrant de MA vivent pendant plusieurs années à domicile, les questions relatives aux pratiques de soins de proximité et d’accompagnement des aidants sont centrales. En vue d’améliorer la qualité et la sécurité de la prise en charge de cette maladie, de nombreux travaux de réflexions et programmes d’actions voient le jour (7).

Au niveau mondial, l’Organisation mondiale de la santé (OMS), via son Assemblée mondiale de la santé, a approuvé en mai 2017 le premier Plan mondial d’action de santé publique contre la démence 2017-2025 (8). Au niveau européen, des programmes comme Act-on-Dementia ou ALCOVE (Alzheimer, COoperative Valuation in Europe) permettent des actions conjointes afin de mettre en œuvre dans les États-membres des mesures susceptibles d’améliorer la situation des personnes atteintes de démence et leurs aidants (9,10). Leurs actions visent à faciliter les prises en charges des démences et à émettre des propositions sur les meilleurs moyens de préserver la qualité de vie, l’autonomie et les droits des personnes malades et de leurs aidants. La Haute autorité de santé (HAS) coordonne l’ensemble du projet et y représente la France. Elle est engagée depuis de nombreuses années dans ce dossier majeur et a piloté plusieurs travaux dédiés à la prise en charge et à l’accompagnement des malades et de leurs proches (11). Elle a publié en mai 2018 un guide parcours de soins de la MA consacré à la mise en œuvre de soins et d’aides adaptés (12). Il y est notamment question des traitements non médicamenteux pour améliorer la prise en charge des patients et maintenir leur niveau d’autonomie et de bien-être notamment au domicile.

Le « Plan Alzheimer 2008-2012 » a permis de fournir un effort sans précédent en matière de recherche, de favoriser un diagnostic plus précoce et de mieux prendre en charge les malades et leurs aidants. Lui a succédé le Plan Maladie Neuro Dégénérative 2014-2019 (PMND) qui concerne non seulement la MA mais aussi la maladie de Parkinson, la Sclérose en plaque et l’ensemble des maladies neurodégénératives. Nous citerons notamment l’axe 2 de ce programme : favoriser l’adaptation de la société aux enjeux de ces maladies et atténuer les conséquences sur le quotidien. Un axe qui met l’accent sur la connaissance de la maladie et de la réalité de la vie des patients malades et de leurs proches, afin de créer les conditions d’une vie plus simple et autonome chez soi (13).

Sur le plan physiopathologique, la MA est définie par l’accumulation combinée de protéine bêta-amyloïde (plaques amyloïdes) et de protéine tau phosphorylée (dégénérescences neurofibrillaires) dans des régions spécifiques du cerveau (14). Cependant, limiter la MA aux déficits cognitifs et à ses mécanismes biologiques reste insuffisant et n’oriente pas vers des soins ajustés aux besoins des patients et de leur famille s’ils ne sont pas complétés par une approche psychologique et environnementale. Une approche multimodale implique une prise en charge ambulatoire adaptée, et donc une prise en compte personnalisée du domicile des patients (15). C’est à ce niveau qu’intervient le médecin généraliste : en tant qu’acteur de premier recours, le domicile est son terrain d’action. Ainsi, les orientations du PNMD s’inscrivent dans la Stratégie nationale de santé en s’appuyant sur les travaux conduits à propos du projet de loi d’adaptation de la société au vieillissement et du projet de loi relatif à la santé. La loi de santé promulguée le 26 janvier 2016 s'articule en effet autour de cet axe essentiel : la réorganisation autour des soins de proximité à partir du médecin généraliste. Et comme en témoigne la proposition de stratégie graduée et personnalisée de diagnostic des troubles neurocognitifs (16), on assiste à un réel virage ambulatoire de la prise en charge et du suivi des patients atteints de MA. Le médecin généraliste a désormais un rôle essentiel et décisionnaire, qu’il partage avec le médecin spécialiste des troubles cognitifs.

En termes évolutifs, après une phase légère, le trouble cognitif de la MA s’accentue et s’associe à des symptômes psycho-comportementaux (SPC) induisant une perte d’autonomie et une dépendance. Cette dépendance peut être responsable d’incurie chez des patients qui sont la plupart du temps isolés et ne consultent plus leur médecin. Le domicile du patient atteint de MA doit alors évoluer parallèlement à l’évolution de la maladie : de nombreux comportements à risque (conduite automobile, gestion des traitements médicamenteux, manipulation du gaz, gestion de son propre calendrier de consultation médicale...) doivent ainsi être évités (17). La condition d’une prise en charge ambulatoire adaptée nécessite l’établissement d’un diagnostic finalisé par le médecin spécialiste, et d’un projet personnalisé de prise en charge partagé avec le médecin généraliste (6,16).

2. CLINIQUE ET SYMPTOMES PSYCHO-COMPORTEMENTAUX (SPC)

On estime, dans l’ensemble de la population, qu’entre 5 et 8 % des personnes âgées de 60 ans et plus seront atteintes de démence à un moment donné. La maladie d’Alzheimer en est la principale cause chez le sujet âgé. Elle représente entre 60 et 70 % des cas.

La MA est une pathologie d’évolution progressive et insidieuse dont les principaux symptômes sont des troubles cognitifs et des symptômes psychologiques et comportementaux (SPC). Le tableau clinique est variable et la durée d’évolution de la maladie est de 8 à 12 ans.

Les troubles comportementaux aigües ou symptômes de détresse psychique sont fréquents, et présents à tous les stades de la maladie. Ils se retrouvent dans plus de 80% des cas (18). Les SPC sont souvent présents dès le début de la maladie, notés par l’entourage comme un changement de caractère (irritabilité, apathie, retrait, indifférence, signes anxieux ou dépressifs). Ils sont à la fois l’expression des lésions neuronales et un mode d’expression face aux troubles cognitifs (12). Ils sont décrits par la HAS comme : « des conduites inadaptées ou aberrantes marquant une rupture avec le comportement antérieur. Il s’agit de comportements, d’attitudes ou d’expressions dérangeants, perturbateurs ou dangereux pour la personne ou pour autrui.Ce sont des symptômes différents dans leur nature mais qui ont des caractéristiques communes. Ils sont souvent fluctuants en intensité ou épisodiques » (18).Il existe différents types de SPC : d’une part, des symptômes déficitaires comme des éléments dépressifs, de retrait ou d’apathie et, d’autre part, des symptômes productifs comme de l’agitation, de la déambulation, des cris, des épisodes délirants ou des hallucinations. Nous reviendrons plus en détail sur la variété des SPC dans le chapitre Matériels et méthodes (cf partie 4.1 et annexe VI). Dans la littérature, internationale comme française, les SPC les plus fréquemment retrouvés en clinique sont l’apathie, les troubles d’ordre dépressif et l’agitation (19–21).

Ces troubles comportementaux aigus ont un retentissement notable sur les actes de la vie quotidienne tant pour le malade que pour l’aidant : ils sont la première cause de fardeau des aidants et la première cause d’institutionnalisation des personnes malades (22–25).

Les aidants jouent un rôle incontournable dans l’accompagnement des personnes en perte d’autonomie (7). Ils sont pourtant souvent isolés, épuisés, aussi bien physiquement que psychiquement (26). Les aidants naturels (proches aidants ou aidants familiaux, non professionnels) ne doivent pas rester seuls face aux problèmes de la maladie. Il est important de mettre en place une stratégie globale concernant les moyens de prévenir et de traiter au mieux ces troubles du comportement aux conséquences délétères, tant pour les personnes mises sous neuroleptiques ou institutionnalisées, que pour leur entourage déprimé, et se sentant coupable.

L’aidant fait naturellement partie du projet thérapeutique de soins autour de son proche malade. Il pourrait même être un thérapeute à part entière (7). Que ce soit au niveau national, européen ou mondial, de nombreuses actions conjointes ont donné naissance à des programmes d’aide aux aidants (6,10). Leur but principal est de renforcer les facteurs de protection de l’aidant en établissant une prise en charge parallèle de celui-ci, dans son individualité propre. Les propositions sont multiples, notamment développer et renforcer les compétences pratiques des aidants, via des formations et des groupes de soutien par exemple. Il s’agit de comprendre et savoir gérer les troubles du comportement pour renforcer le sentiment de confiance en soi. Des programmes éducatifs à destination des aidants, en apportant connaissances théoriques et pratiques, visent à apporter bien-être et soutien aux proches de patients atteints de MA (27,28). En effet, la bonne volonté ne suffit pas pour accompagner les personnes malades au quotidien : développer une stratégie d’accompagnement basée sur une connaissance solide de la maladie est essentielle. Il s’agit pour l’aidant de savoir identifier les signes et symptômes liés à la pathologie pour repérer au mieux les besoins de son proche, en favorisant son autonomie. L’aidant peut ainsi apprendre à instaurer une communication verbale et non verbale adaptée, et à utiliser des outils de médiation au cours des activités quotidiennes. Une autre solution consiste à apprendre à gérer le stress et rompre l’isolement de l’aidant en l’informant sur les aides à la prise en charge quotidienne, ce afin d’éviter l’épuisement, de préparer l’avenir et d’anticiper d’éventuelles situations difficiles. Les aidants eux- mêmes sont en demande de suivi pour être guidés (29), et les études d’évaluation d’aides aux aidants sont encourageantes quant aux bénéfices escomptés. Les aides apportées, en rompant l’isolement, créent des espaces de compréhension et d’empathie au service des aidants. En leur apportant des clés et des outils d’accompagnement, elles leur permettent ainsi d’être des acteurs engagés et assurés dans le projet thérapeutique pour leur proche malade.

3. LES THERAPEUTIQUES MEDICAMENTEUSES

D’un point de vue thérapeutique, les moyens médicamenteux de prise en charge de la MA sont aujourd’hui limités à des traitements symptomatiques. Ces derniers agissent au niveau des neuromédiateurs dont on sait, depuis les années 1960, qu’ils sont déficitaires dans cette maladie. Dans une approche anatomo-biochimique de la maladie, dès les années 1970, il fut rapporté de façon constante un déficit de la choline-acétyltransférase, l'enzyme de synthèse de l'acétylcholine (ACh), dans le cerveau des patients atteints de MA. À partir de ces données, il fut alors proposé que l'affaiblissement des fonctions cognitives dans la MA pouvait être initialement corrélé à la réduction des marqueurs cholinergiques dans les régions corticales et hippocampiques. C'est dans ce contexte physiopathologique que les médicaments anticholinestérasiques visant à stimuler la transmission cholinergique centrale dans les structures cérébrales clés pour les processus cognitifs et les régulations comportementales ont été développés (30). Ils sont disponibles en France depuis la fin des années 1990 et sont représentés par le donepezil (Aricept©), la rivastigmine (Exelon©), et la galantamine (Réminyl©).

Il a également été découvert que le glutamate, un autre neuromédiateur, pourrait jouer un rôle important dans l’apprentissage et la mémoire. L’hypothèse physiopathologique qui s’y rapporte est que la concentration de glutamate augmente près des plaques amyloïdes dans le cerveau des patients atteints de MA. La présence de ce neuromédiateur en excès contribuerait à détériorer les neurones. Par conséquent, les molécules visant à inhiber la stimulation excessive des récepteurs NMDA constitueraient une voie thérapeutique intéressante, les antagonistes agissant en normalisant le taux de glutamate, réduisant ainsi les symptômes de la maladie. Les antagonistes des récepteurs NMDA sont représentés par la mémantine (Ebixa©).

Forts d’un recul d’une vingtaine d’années, et à l’heure de nombreuses suspicions envers les industries pharmaceutiques, il nous a paru important de nous centrer sur les éléments factuels et d’examiner les données concernant ces médicaments en terme d’efficacité, de tolérance, d’impact médico-économique, ainsi que les positions des autorités sanitaires sur les conditions de prescription dans les autres pays européens (7,31). C’est dans ce contexte que la Commission de transparence de l’HAS a procédé à plusieurs évaluations des médicaments spécifiques de la MA et a conclu à une rétrogradation du service médical rendu (SMR) (32,33). Cette décision reste controversée, aucune étude publiée ne remettant en cause l’intérêt de ces médicaments et aucun signal de pharmacovigilance défavorable ou de dangerosité n’ayant été émis par les autorités sanitaires des pays occidentaux, même si l’ensemble des études disponibles concluent à une efficacité modeste et limitée.

Outre ces médicaments symptomatiques utilisés depuis bientôt trente ans, les recherches fondamentales et la compréhension des mécanismes à l’origine de la MA sont toujours en cours et permettent de proposer de nouvelles cibles thérapeutiques pour ralentir ou tenter de traiter cette affection. Plusieurs molécules sont en cours de développement, la majorité visant à bloquer l’accumulation de peptides amyloïdes, d’autres luttant contre l’agrégation des protéines tau. La piste la plus développée actuellement reste celle de l’immunothérapie utilisée pour éliminer le peptide bêta-amyloïde (14,34).

Concernant les psychotropes, il existe peu de données sur leur utilisation. Les indications de recommandation reposent sur un accord professionnel et sont le plus souvent hors AMM. Que ce soit antidépresseurs, antipsychotiques, anxiolytiques ou hypnotiques, il n’est ainsi pas recommandé - en cas d’opposition, de cris, de déambulation - de prescrire en première intention et sans évaluation préalable un traitement par psychotrope. Les psychotropes n’ont pas d’effet préventif démontré sur la survenue des troubles du comportement (35).

Au total, on constate, cent ans après les premières descriptions de cette maladie, que les thérapeutiques médicamenteuses disponibles jusqu’à présent ne sont pas suffisantes pour la prise en charge de certains symptômes. La prise en charge des patients ne peut et ne doit donc pas se limiter à la prescription de médicaments. Pour les troubles du comportement plus particulièrement - très fréquents au cours de la maladie - l’élaboration d’une stratégie de santé publique viserait, en les contrôlant, à réduire le fardeau des aidants afin de permettre à la personne de rester à son domicile le plus longtemps possible dans de bonnes conditions.

4. LES THERAPEUTIQUES NON PHARMACOLOGIQUES (TNPS)

Les recommandations les plus récentes mettent l’accent sur une prise en charge multidimensionnelle du patient, de son entourage et de son environnement, afin de préserver le plus possible le niveau d’autonomie et de bien-être (7,12,18). Depuis 2009, il est préconisé d’utiliser en première intention des techniques de soins appropriées pour les troubles du comportement, à même de « permettre de prévenir le déclenchement ou la majoration des troubles et d’éviter le recours à des traitements médicamenteux ».

Sont ici visées des interventions sur la qualité de vie, sur le langage (orthophonie), et sur la cognition, comme avec la stimulation cognitive et sensorielle, l’activité motrice et les activités occupationnelles. Des  prises  en  charge  globales  peuvent  même  associer  plusieurs  types  d’interventions (psychomotricité, ergothérapie, etc.). Autant d’interventions qui peuvent permettre d’éviter le recours à des traitements médicamenteux, lesquelles pourront cependant être utilisés en seconde intention si les techniques proposées sont insuffisantes, notamment si les troubles sont sévères et ont un retentissement important.

Parmi les solutions proposées par les techniques non médicamenteuses, la musicothérapie suscite de plus en plus d’intérêt. Le développement de la recherche dans ce domaine participe activement à ce phénomène (36–40).

Citons entre autre la synthèse publiée en mars 2017 (37). Elle analyse 38 revues de littérature et 142 études primaires évaluant un large panel de thérapeutiques non pharmacologiques. Il s’agit d’interventions de stimulation sensorielle (acupression, aromathérapie, toucher/massage, luminothérapie), d’interventions à orientation cognitive et émotionnelle (stimulation cognitive, écoute et pratique musicales, danse, méthode Snoezelen, TENS, thérapie par réminiscence, etc..), de thérapies basées sur la gestion du comportement et d’autres interventions, en présence d’un animal par exemple. Une grande hétérogénéité caractérise ces différentes stratégies d’intervention, et il est difficile d’identifier celles qui apportent les résultats les plus intéressants. Les interventions musicales semblent néanmoins être un outil privilégié, notamment dans la réduction de l’agitation et de l’anxiété. Cette étude met également l'accent sur la nécessité d'interventions spécifiques au domicile par des soignants ou des aidants formés, dans le cadre d'une prise en charge personnalisé et supervisée.

Une autre revue de littérature s’emploie à évaluer les preuves d'efficacité les plus robustes des thérapeutiques non pharmacologiques (38). Les études sélectionnées sont évaluées par rapport aux éventuels bénéfices sur le délai à l'institution, sur l'amélioration de la cognition, la gestion des troubles du comportement et de l'humeur et sur la qualité de vie du patient et de l'aidant. La conclusion de cette revue systémique prône l’émergence des TNPs en tant qu’approche à la fois rentable, utile et polyvalente pour améliorer la qualité de vie des patients atteints de MA et de leurs aidants. Celle de Livingston met en avant le rôle des interventions musicales, parmi d’autres TNPS, dans la gestion de l’agitation des patients déments (40).

Ces revues récentes ont donc permis de mettre en évidence les TNPS, et en particulier les interventions musicales, comme techniques « alternatives » face aux besoins persistants de soins des personnes âgées touchées par la MA. La portée des effets, leur durabilité, et leur intégration aux activités de la vie quotidienne restent des questions ouvertes. L’utilisation de la musique permettrait ainsi de diminuer la fréquence et l’importance des troubles psychologiques et comportementaux de la démence et de réduire le recours aux psychotropes.

Concernant plus spécifiquement les troubles du comportement, l’HAS détaille également en 2011 que « la musicothérapie pourrait améliorer certains aspects du comportement tels que l’anxiété, la dépression, les facteurs psychosociaux ou encore les facteurs environnementaux physiques. La musicothérapie s’appuie sur les qualités non verbales de la musique (son, rythme, harmonie, mélodie) afin de pallier certaines compétences langagières perdues au stade sévère de la maladie, et de communiquer avec autrui par des moyens d’expression et de communication non verbale. L’objectif est également avec ce type de thérapie, de stimuler les interactions sociales, baisser le niveau d’agitation et de tension émotionnelle chez les patients déments. Ce type de prise en charge peut prendre deux aspects, l’un passif, avec écoute musicale, l’autre productif avec expression vocale et musicale ».

5. MUSIQUE ET DEMENCE
5.1  Les bienfaits de la musique

Bien que les vertus thérapeutiques de la musique soient documentées depuis la Grèce antique, les recherches actuelles dans le domaine des sciences cognitives conduisent à préciser la place de la musique dans la société humaine (41– 44). Ainsi, l’être humain « est musical », ceci même plusieurs mois avant sa naissance. Il reste « musical » jusqu’à la fin de sa vie, comme le démontre l’efficacité des actions musicales dans de nombreux services hospitaliers en fin de vie.

Le pouvoir attractif et émotionnel et la richesse perceptive qu’apporte la musique sont des facteurs cruciaux et des atouts indéniables. L’émotion procurée par la musique, en particulier la sensation de plaisir, est certainement la raison principale qui nous incite à écouter de la musique (45,46). On sait maintenant que l’écoute ou la pratique de la musique ne provoque pas simplement des sentiments abstraits mais induit de réels changements de l’activité cérébrale et des modifications physiologiques (47–50). Cette composante hédonique et émotionnelle de la musique est essentielle.

Les  bénéfices  thérapeutiques  attendus  peuvent  provenir  également  d’une  composante relationnelle de la musique, en raison de ses effets sur la communication et le lien social. Des travaux ethno-musicologiques ont montré l’importance des activités musicales dans les groupes sociaux. L’histoire humaine ne connaît pas de société où des formes de pratiques musicales n’aient pas existé ou dans lesquelles elles auraient disparu. Conjointement, il semble difficile d’identifier une espèce animale qui présente une compétence musicale comparable à la nôtre. La musique semble ainsi être une compétence universelle et spécifique aux humains. Pratiquée à plusieurs, elle stimule les systèmes sensoriels et cognitifs, et implique aussi le corps, les émotions et les intentions, qui s’influencent et s’enrichissent dans un processus dynamique complexe. Elle sollicite l’audition, la motricité et le couplage entre les deux. E. Bigand parle de l’écoute musicale comme d’une « symphonie cérébrale » car elle nécessite la coordination de l’activité de nombreux circuits neuronaux corticaux et sous-corticaux qui sont associés à des expériences cognitives et affectives ayant de très fortes implications pour la mémoire (42, 44).

La raison d’être de la musique a été souvent débattue : simple loisir ou activité artistique ? Aujourd’hui, sa fonction ne peut se réduire à une dimension esthétique ou distractive. Les neurosciences cognitives rejoignent ici les conclusions des ethnomusicologues : la musique est une modalité de communication sociale, au même titre que le langage, et présenterait une singularité évidente : elle semble fortement résistante aux pathologies cérébrales. Aussi, l’hypothèse selon laquelle l’attrait pour la musique serait une aptitude cognitive archaïque, beaucoup plus résistante aux atteintes cérébrales que d’autres capacités acquises plus récemment au fil de l’évolution, comme le langage, est à l’étude. Cela expliquerait qu’elle puisse être préservée en dépit de nombreuses atteintes cérébrales et puisse contribuer à la réorganisation fonctionnelle d’un cerveau altéré en stimulant les processus de plasticité cérébrale (51). La musique se présente ainsi comme un véritable outil de stimulation cognitive, non invasif, notamment chez les personnes atteintes de la MA. Les travaux de Platel dans une maison de retraite spécialisée dans la MA, des ateliers de chants pour les patients institutionnalisés, le démontrent. Lorsque les patients apprennent des chansons totalement inconnues, alors qu’ils ne sont pas capables de mémoriser le texte, ils sont capables de mémoriser la mélodie du chant. Cette expérience montre qu’il y a encore une capacité d’apprentissage mélodique chez les patients. Par ailleurs, la musique a également permis chez les patients un éveil émotionnel, et une réduction du nombre d’épisodes de dépression et de troubles du comportement.

Des études neuropsychologiques ont montré que les émotions suscitées par la musique peuvent être préservées même quand la mémoire de la musique est perturbée par une pathologie neurodégénérative (52,53). La « mémoire musicale » serait d’ailleurs une mémoire implicite complexe plus résistante aux processus lésionnels de la MA que la mémoire épisodique (mémoire consciente) - première atteinte dans la MA ; plus résistante également que la mémoire sémantique (mémoire automatique et/ou volontaire) et que la mémoire procédurale (phase d’acquisition consciente). Ces découvertes sur les bienfaits de la musique ouvrent des perspectives thérapeutiques pour la MA, et plaident pour une utilisation courante en pratique clinique.

5.2  Les différentes approches musicales dans la MA

Les recherches neuroscientifiques des quinze dernières années dans le domaine de la MA ont observé, analysé et détaillé les effets de la musique dans des conditions et contextes multiples et variés et avec des modes opératoires différents : musicothérapie active (chant, production instrumentale, exercices de rythme, danse, improvisation) ou passive (réceptive), individuelle ou en groupe, en comparaison avec des soins standards ou d’autres activités plaisantes. Ces pratiques ne sont pas systématiquement soutenues par un modèle théorique clair et une validation expérimentale contrôlée. Les outils de mesure et d’évaluation utilisés sont différents selon les études, comme par exemple le Neuro Psychiatry Inventory (NPI) pour les symptômes psycho-comportementaux, l’échelle Geriatric Depression Scale (GDS) ou le NPI pour les symptômes dépressifs, l’échelle de Hamilton, ou de Cohen-Mansfield (CMAI) pour l’anxiété, le Mini Mental State Examination (MMSE) pour la cognition.

Dans leur majorité, ces études ont néanmoins prouvé que les interventions basées sur la musique ont des effets positifs sur le comportement, l’agitation, l’humeur, et la cognition. Les revues de Ueda et Guetin synthétisent les principaux effets constatés : réduction des scores d’anxiété, de dépression et des troubles du comportement (agitation, agressivité) (54,55). Malgré l’évidence de l’amélioration du bien-être des patients déments et de leurs aidants après des interventions musicales, les nombreuses différences méthodologiques existant entre les études soulignent la difficulté à mettre en place de telles études et à s’assurer d’une démonstration robuste quant à leur efficacité. Toutes les études qui examinent en terme de niveaux de preuves l’intérêt des interventions basées sur la musique vont dans ce sens (56–60).

Des auteurs tentent aujourd’hui d’évaluer dans quelles conditions l’efficacité des interventions musicales paraît optimale, afin d’établir une liste de recommandations pour en faciliter l’usage courant chez les patients atteints de démences et de proposer un modèle d’intervention structuré (Global Music Approach – Dementia, GMA-D ; (61)). Ils soulèvent par exemple l’importance d’une intervention personnalisée, en présence ou non d’un thérapeute (62–65). Chang lui, conclue à une efficacité supérieure de la musicothérapie individuelle par rapport à celle pratiquée en groupe, chez des patients atteints de MA d’un stade léger à modéré, et à condition d’une intervention répétée, au moins deux fois par semaine (64).

5.3   Quelle approche musicale étudier dans la MA et pourquoi ?

Le terme « musicothérapie » est définie en France par Edith Lecourt, créatrice du diplôme universitaire (DU) de musicothérapie comme : « une forme de psychothérapie ou de rééducation, d’aide psychomusicale, selon les cadres considérés, qui utilise le son et la musique sous toutes leurs formes comme moyens d’expression, de communication, de structuration et d’analyse de la relation ».

Nous emploierons volontairement le terme « écoute musicale » plutôt que celui de musicothérapie afin de nous libérer de la relation patient/thérapeute que nécessite l’application rigoureuse de son principe. L’écoute musicale telle que nous l’étudions, s’inscrit toutefois dans la lignée des programmes de musicothérapie dite réceptive individuelle, de type « relaxation », mais sans y associer de psychothérapie de soutien.

Les données concernant les études d’évaluation de la musicothérapie passive individuelle et personnalisée comme nous l’entendons soulignent précisément ses effets bénéfiques en termes de réduction des troubles psycho-comportementaux (66) , dont l’anxiété (67,68), l’agitation (69,70), et les symptômes dépressifs (71), ainsi qu’une amélioration de la qualité de vie et une diminution des scores de stress des aidants (67,72). En institution, elle permet de rassembler les patients, de calmer des états d’agitation ou de mobiliser des patients apathiques, et de leur procurer du plaisir. Cependant, aucune étude ou presque ne s’intéresse à l’application d’un protocole d’écoute musicale au domicile des patients atteints de MA.

Puisqu’il a été démontré que la mémoire musicale reste très longtemps préservée dans la MA, même à un stade sévère (52,59), la musique est un stimulus idéal à proposer aux patients. L’écoute musicale présente un grand nombre d’avantages. Elle est :

  • largement accessible, facile à utiliser ;
  • appréciée par la majorité des personnes, catalyseur de lien social ;
  • non pharmacologique, donc non iatrogénique ;
  • écologique ;
  • très peu coûteuse ;
  • utilisable à domicile.

Sa capacité unique à susciter émotions autant que souvenirs suggère qu’elle pourrait également favoriser le sentiment de partage avec les aidants et les proches.

En favorisant la participation de l’aidant à un protocole de soutien dans les moments de forte instabilité, elle permettrait en outre de l’impliquer dans la réappropriation d’un quotidien perturbé.

Proposer un protocole applicable au domicile et prescrit par un médecin traitant s’inscrit par ailleurs dans la dynamique du virage ambulatoire entrepris au niveau du système national de santé. Notre travail entend ainsi contribuer ainsi au développement d’études d'évaluation des techniques non médicamenteuses déployées au domicile. Il s’agit de proposer l’écoute musicale comme outil de prise en charge au domicile et d’accompagnement des symptômes psycho-comportementaux pour les patients atteints de MA et leurs aidants.

Notre hypothèse de recherche est que l’écoute musicale, avec les avantages potentiels qu’elle recèle, peut-être une réponse simple, à domicile, aux problématiques que posent les SPC chez les patients atteints de MA.

Nos objectifs sont d’évaluer les effets de l’écoute musicale sur un symptôme donné, symptôme appartenant aux troubles psycho-comportementaux de la MA, désignés sous le terme de « crise » dans notre étude. En proposant l’écoute musicale comme un outil de prise en charge et d’accompagnement au domicile, nous cherchons ainsi à évaluer ses effets au quotidien chez le patient, mais également à long terme chez l’aidant (fardeau).

Un objectif connexe est d’évaluer les effets de l’usage de l’écoute musicale sur la probabilité de survenue des crises à long terme. Notre postulat de départ est celui d’un éventuel effet préventif de l’écoute musicale sur l’expression clinique des SPC.

MATERIELS ET METHODES

1. CONCEPTION DE LA RECHERCHE

Notre objectif est d’évaluer l’efficacité de l’écoute musicale en tant qu’outil de prise en charge complémentaire, au quotidien, au domicile, pour les patients atteints de MA, en cas de situation difficile sur le plan comportemental. En pratique, il s’agit de mettre en œuvre l’écoute musicale auprès de patients atteints de MA, par leurs aidants, lorsque ceux-ci sont confrontés à une difficulté comportementale ou à une détresse du patient.

Le cadre du domicile est une dimension complexe qui ne se prête pas facilement à une méthodologie de recherche, en particulier auprès de couples patient/aidant qui doivent surmonter le défi d’une adaptation permanente de la gestion de la vie au quotidien. Il constitue cependant le terreau d’une approche naturaliste pour un usage large de ce que l’écoute musicale apporte en termes de bénéfices, tant auprès du patient que de ses aidants. Nous avons choisi de réaliser une étude en conditions naturelles, mais construite avec la rigueur d’une étude clinique, expérimentale, prospective, selon plusieurs modalités :

  • une modalité descriptive passive, qui consiste à tenir, par l’aidant, un agenda des situations qu’il juge difficiles pour le patient et/ou pour lui (désignées par le terme crises) et susceptibles d’être modulées par l’écoute musicale
  • une modalité active interventionnelle, réalisée également par l’aidant, qui correspond à la mise en œuvre de l’outil de recherche propre, l’écoute musicale, et à l’évaluation des effets de celle-ci sur les crises

Le  protocole  de  recherche  est  donc  élaboré  selon  les  principes  des  études cliniques interventionnelles descriptives : définition de la population avec critères d’inclusion et d’exclusion ; définition des critères primaire et secondaires ; usage d’outils d’évaluation validés ou de référence ; protocole interventionnel précis (prise en compte des violations) avec visites programmées (sélection, inclusion, suivi, fin) ; analyse statistique. Il s’agit au final d’évaluer :

  • les effets de l’écoute musicale d’une façon rigoureuse et donc acceptable par la communauté médicale pour qu’elle l’identifie comme une approche thérapeutique complémentaire et/ou alternative des traitements pharmacologiques
  • la réduction du fardeau des aidants par l’usage de l’écoute musicale dans des conditions qu’ils jugent difficiles à gérer (troubles du comportement) ou accepter (détresse)
  • la faisabilité et simplicité de l’usage de l’écoute musicale au domicile, ouvrant à sa prescription potentielle en soins primaires et sa mise en œuvre par les aidants proches, naturels ou non

L’étude n’affecte pas le quotidien du patient ou de ses aidants, ni la prise en charge du patient en terme de tout autre soin ou d’aide. Elle se déroule sans frais pour le patient et la famille, sur la base du volontariat du couple patient/aidant. Il est possible à tout instant de stopper sa participation à l’étude sans que le suivi ni la prise en charge du patient en soient affectés.

2. POPULATION DE L’ETUDE
2.1  Modalités du recrutement

Les patients sujets de l’étude sont repérés et sélectionnés de façon prospective, « au fil de l’eau » de consultations de médecine générale, consultations spécialisées des troubles cognitifs (« consultations Mémoire »), ou au sein de centres d’accueil de jour dans le Rhône et l’Isère. Les patients sélectionnés ont les caractéristiques suivantes :

  • hommes ou femmes âgés de 60 ans ou plus, bénéficiant ou non d’aides à domicile, avec ou sans habitude antérieure d’écoute musicale ou d’expérience de pratique musicale
  • atteints d’une maladie d’Alzheimer, quel qu’en soit le stade de sévérité
  • vivant à domicile avec un proche ou régulièrement accompagné dans la vie quotidienne par un aidant naturel proche

Les patients repérés et leurs aidants sont sollicités directement par le médecin généraliste, le médecin spécialiste, ou le soignant de l’accueil de jour. Une affichette (cf ANNEXE I) a par ailleurs été disposée dans les salles d’attentes de consultation et auprès des professionnels des accueils de jour afin que patients et aidants puissent prendre connaissance de la recherche et se manifester spontanément le cas échéant.

Deux médecins réalisent la sélection :

  • Laetitia HENNETON, généraliste remplaçante, en consultation de Médecine Générale, au sein de cabinets de Médecine Générale de l’Ouest Lyonnais (Rhône)
  • Gérard MICK, en Consultation Mémoire de proximité, au Centre Hospitalier de Voiron (Isère)

Des professionnels de diverses structures de soins du territoire de l’Ouest Lyonnais contribuent également à la sélection de patients :

  • psychologue de l’EHPAD de Mornant
  • psychomotricienne de l’ESAD De Givors
  • psychologue de l’accueil de jour de Vaugneray
  • psychologue de l’accueil de jour de l’EHPAD de Polionnay
  • psychologue du SIPAG de Craponne
  • psychologue de la Maison du Rhône
  • soignants de l’accueil de jour de l’EHPAD de Taluyers

Les familles des patients sélectionnés sont pour la plupart contactées par téléphone par le professionnel qu’elles connaissent, qui leur propose de participer à l’étude. Quand patient et aidant naturel principal donnent leur accord, leurs coordonnées sont transmises à l’investigateur, qui les contacte pour un premier rendez-vous d’inclusion. L’investigateur est Laetitia HENNETON. Le nombre maximum de patients à recruter est fixé à 70. L’aidant pourra à tout moment contacter l’investigateur (numéro d’appel fourni au début de l’étude) au sujet de l’étude.

2.2  Critères d’inclusion

Outre les critères de sélection, ce sont :

Diagnostic de MA confirmé soit par le spécialiste qui a sélectionné, soit par l’investigateur au cabinet par les données disponibles dans le dossier clinique du patient (compte rendu du spécialiste ou bilan étiologique avec bilan neuropsychologique complet et IRM cérébrale)

  • Vie à domicile avec un proche OU régulièrement accompagné dans la vie quotidienne par un aidant naturel proche et fiable (si possible, aidant naturel principal, en particulier conjoint ou enfant)
  • Capacités cognitives et physiques qui apparaissent compatibles avec une compréhension minimale et un déroulement facile de l’étude
  • Traitement médicamenteux psychotrope de fond stable depuis 1 mois et pendant toute la durée de l’étude, soit au moins 3 mois
  • Couple patient/aidant ayant signé un consentement écrit à sa participation à l’étude et au recueil de données
  • Comorbidité menaçant le pronostic vital pendant la période prévue pour l'étude
  • Pathologie neurologique centrale associée (autre démence, AVC, Parkinson, …) susceptible d’altérer les capacités cognitives du patient, outre la MA
  • Pathologie psychiatrique avérée
  • Nécessité de modification du traitement psychotrope de fond au cours de l'étude (la prise transitoire d’un traitement psychotrope en situation aigue n’entre pas dans ce cadre si elle ne dure pas plus d’une semaine, et dans ce cas suspend l’étude pour la durée de cette prescription)
3. METHODOLOGIE DE LA RECHERCHE : DEROULE GENERAL

L’étude dure 4 à 6 mois à partir de la date d’entrée dans le protocole. Le déroulé du protocole, pour l’investigateur, nécessite de réaliser 3 consultations. Le lieu de consultation est le domicile des patients.

La première consultation consiste à s’assurer des critères d’inclusion et d’exclusion, après avoir évoqué les raisons et décrit les modalités de la recherche. L’inclusion d’un patient marque le début de l’étude, et l’investigateur procède à :

  • un recueil de diverses données concernant le patient et l’aidant
  • un recueil de données concernant le fardeau de l’aidant
  • une formation à l’usage de l’agenda

Il est expliqué ce qu’est une crise à traiter par l’écoute musicale. Il est ensuite remis un agenda permettant de collecter des données correspondant aux épisodes de crises, dont le remplissage est expliqué avec quelques exemples concrets.

  • un recueil des goûts et habitudes musicales du patient

Un questionnaire de goûts et d’habitudes musicales selon (73) permet d’établir une liste d’écoute d’œuvres musicales sélectionnées, à enregistrer sur CD par l’investigateur, CD à fournir dans un second temps (le plus vite possible) à l’aidant. Selon les équipements présents au domicile, un lecteur CD portatif avec haut-parleurs (intégrés ou non) est éventuellement fourni.

Une fois le CD contenant cette liste reçu, l’aidant peut commencer à remplir l’agenda quand une situation est identifiée comme une crise, et débuter une phase de test d’environ 1 mois.

La seconde consultation a lieu environ 1 mois après la première, marquant la fin de la phase de test, afin de s’assurer de la bonne compréhension du protocole et des conditions de déroulement de celui-ci. L’aidant est invité en particulier à confirmer qu’il a bien identifié les différents types de crises et les œuvres musicales à utiliser en fonction de ces types. Il est prévu de modifier la liste d’écoute fournie si nécessaire.

La troisième consultation, 3 à 4 mois après la seconde de façon à ce que le temps de recueil de données dans l’agenda soit de 3 mois, marque la fin de l’étude : l’agenda est recueilli, ainsi que les particularités éventuelles concernant le déroulement de l’étude.

4. METHODOLOGIE DETAILLEE DE L’ETUDE
4.1  Première consultation = TO

Information et consentement

Au cours de la première consultation, l’investigateur fait connaissance avec le patient et l’aidant et prend note de l’environnement du couple patient/aidant afin d’adapter si besoin les modalités pratiques de la recherche. Il vérifie le respect des critères d’inclusion et d’exclusion. Le couple patient/aidant prend connaissance du protocole de l’étude avec l’investigateur, et un formulaire d’information élaboré spécifiquement (cf ANNEXE II) est fourni. Le couple signe son consentement à sa participation à l’étude sur ce formulaire. L’aidant s’engage alors à intégrer l’étude dans la vie quotidienne du patient au domicile.

Description des couples patient/aidant participants

L’investigateur procède au recueil des données concernant le patient et l’aidant à partir d’un questionnaire descriptif (cf ANNEXE III) construit en 4 parties :

  • Caractéristiques générales du patient : âge, sexe, niveau d’étude, statut marital, profession auparavant exercée
  • Données propres au diagnostic de MA et à son traitement : année du diagnostic et critères diagnostiques utilisés, dernier MMS, traitement de fond spécifique, traitement spécifique éventuel en cas de symptôme aigu, autres traitements dont ceux psychotropes
  • Caractéristiques de l’aidant (âge, sexe, lien avec le patient) et des autres soins et aides au domicile (infirmier, auxiliaire de vie, aide à la personne,…), participation à un accueil de jour
  • Habitudes et connaissance musicales générales du patient, répondant en particulier aux questions suivantes :
    • quelle place avait la musique dans la vie du patient avant la maladie ?
    • le patient a t-il ou a t-il eu l’habitude d’écouter de la musique ?
    • le patient aime t-il ou a t-il aimé chanter ou danser ?
    • le patient joue t-il ou a t-il joué d’un instrument de musique ?

Evaluation quantifiée du couple patient/aidant

Elle est réalisée avec deux tests :

  • le miniZarit (cf ANNEXE IV), afin d’évaluer le fardeau de l’aidant

Le miniZarit est une échelle d’évaluation de la souffrance des aidants naturels au cours du maintien à domicile des personnes âgées. Elle a été choisie à partir de l’argumentaire du plan Alzheimer 2008-2012, qui a donné lieu à des recommandations de la HAS sur l’amélioration du suivi des aidants naturels (74). Il s’agit d’un auto-questionnaire composé de 8 questions auxquelles l’aidant doit répondre en 3 niveaux (jamais/parfois/souvent). Le score total s’étend de 0 à 7 et traduit l’intensité du fardeau de l’aidant : absent à léger (de 0 à 1), léger à modéré (de 1,5 à 3), modéré à sévère (de 3,5 à 5), sévère (de 5,5 à 7)(75).

  • le Neuro-Psychiatric Inventory (NPI ou inventaire neuropsychiatrique) (cf ANNEXE V), afin d’évaluer la fréquence, la sévérité, et le retentissement des troubles psycho- comportementaux du patient

Le NPI est un hétéro-questionnaire structuré dont les questions sont lues littéralement à l’aidant. Il répertorie un large éventail de perturbations psychologiques et comportementales dans 12 domaines ou dimensions qui doivent avoir été repérés par l’aidant au cours du dernier mois passé : idées délirantes, hallucinations, agitation/agressivité, dysphorie, anxiété, exaltation de l’humeur/euphorie, apathie/indifférence, désinhibition, irritabilité/instabilité de l’humeur, comportement moteur aberrant, sommeil, troubles de l’appétit et de l’alimentation. Dans chaque domaine sont répertoriés 9 symptômes ou signes qui en offrent une description plus détaillée. Une fois que le domaine est reconnu comme présent, il est demandé à l’aidant une information supplémentaire caractérisant sa fréquence d’apparition (rarement/quelquefois/souvent/très souvent), sa gravité (léger/moyen/important), et son retentissement sur la personne aidante (pas éprouvant du tout/légèrement éprouvant/assez éprouvant/moyennement éprouvant/éprouvant ou très éprouvant). Le produit des deux cotations (gravité et fréquence) permet d’obtenir un score de sévérité du domaine de 1 à 12. Ce score de sévérité sera connu pour chaque item et l’addition des 12 scores fournira un score de sévérité global (maximum : 144). Un score supérieur ou égal à 4 dans un domaine indique le seuil à partir duquel le trouble est jugé comme cliniquement significatif. Ce seuil n’est pas régulièrement utilisé dans la littérature internationale, mais est souvent reconnu comme critère d’inclusion dans les essais thérapeutiques sur les troubles psycho- comportementaux dans la démence ou comme score minimum retenu dans les études épidémiologiques (76).

Préparation de l’aidant à l’étude : crises et agenda

A partir d’une fiche informative descriptive créée spécifiquement pour l’étude (cf ANNEXE VI), il est expliqué à l’aidant les différents troubles psycho-comportementaux attribuables à la MA, qui seront appelés crises. Pour ce faire, nous nous sommes inspirés des détails explicatifs du NPI : les crises sont présentées comme des « situations imprévisibles qui prennent au dépourvu les proches, face auxquelles l’entourage ne sait pas comment réagir », qui en outre altèrent significativement le vécu du patient ou la relation de soin/aide.

Dans un souci de simplicité, les crises sont classées en 4 catégories :

  • comportements de refus
  • comportements d’excès
  • baisses de la vitalité
  • altérations de l’humeur ou troubles émotionnels

Des exemples concrets sont présentés :

  • comportements de refus : la personne refuse de coopérer ou ne se laisse pas aider, ou il est difficile de l’amener à faire ce dont il a besoin, ou la personne s’oppose à certaines activités : refus de soin, de prendre des médicaments, de toilette, d’alimentation, d’aide, de déplacement,…
  • comportements d’excès :

Agitation : la personne est irritable, ou il faut peu pour la perturber, ou elle se montre anormalement impatiente, ou elle est agacée par les personnes qui essayent de s’occuper d’elle, ou elle est agacée par une situation.
Agressivité : la personne se bloque ou exige qu’une chose soit faite à sa manière, ou elle crie, jure, parle avec colère, ou menace d’une violence physique même légère envers autrui ou du matériel (faire claquer les portes avec véhémence, donner des coups de pied dans les meubles, lancer des objets,…).
Comportement moteur anormal répétitif : actions itératives, gestes répétitifs, répétition de mots incompréhensibles, ou bien faire les 100 pas ou refaire sans cesse les mêmes choses (ouvrir les placards ou les tiroirs, tripoter sans arrêt des objets, enrouler de la ficelle ou du fil).
Déambulation marquée, éventuellement avec risque de fugue :

  • baisse de vitalité : de façon brutale et inhabituelle, la personne a perdu tout intérêt pour le monde qui l’entoure ou n’a plus envie de faire des choses ou manque de motivation pour entreprendre une activité habituelle (sortir, se promener, manger,…), ou bien il est difficile d’engager une conversation avec elle ou de la faire participer à diverses tâches, situations se traduisant par :

. Repli sur soi . Apathie. Indifférence. Prostration

  • altérations de l’humeur ou émotionnelles : survenue rapide ou brutale et inhabituelle de comportements ou vécus qui affectent de façon significative l’humeur ou l’état émotionnel.

Tristesse : la personne semble triste ou déprimée ou elle l’exprime.

Peur, anxiété, ou angoisse : la personne est très nerveuse, inquiète voir effrayée, sans raison apparente, ou bien elle est très tendue, ou elle a peur de quelque chose et le dit ou non mais alors le montre.

Chaque type de comportement identifié par l’aidant doit être reporté et détaillé quand cela est possible dans l’agenda.

Après s’être assuré de la bonne compréhension de la notion de crise par l’aidant, l’agenda des crises lui est remis. Il est expliqué comment s’en servir et comment se servir de l’écoute musicale pour traiter celles-ci (voir ci-dessous). Afin de faciliter l’usage de l’agenda, il est en format A5 paysage et à spirales. Il se présente pour l’aidant sous la forme d’un tableau en 3 parties consécutives par crise :

  • une partie crise : « ce que j’observe »
  • une partie action : « ce que je fais »
  • une partie effet : « ce que j’observe qui a changé ou non »

Dans la partie crise, l’aidant note le comportement ou la situation qu’il identifie comme une crise devant être améliorée par une action, la date et l’heure de survenue, et la sévérité estimée notée en 3 niveaux : léger, moyen, fort.

Dans la partie action, l’aidant note l’action à visée résolutive qu’il a entreprise, autrement dit « ce que j’ai fait pour tenter d’enrayer la crise ». Il pourra aussi bien choisir et noter l’écoute musicale ou la prise d’un médicament ou tout autre mesure entreprise (discussion, télévision, ballade, …).

Dans la partie effet, la durée de la crise est notée et les effets de l’action entreprise qui sont observés sur le comportement ou la situation du patient sont décrits. Il est attendu une réponse franche de l’aidant à la question de l’estimation d’un effet positif par l’action entreprise : OUI ou NON. Cette estimation est laissée au libre jugement de l’aidant. Si la réponse est positive, une précision est requise, en rapport avec la sévérité de la crise : « quel effet cette action a eu ? », le codage suivant étant utilisé : 0 = arrêt de la crise ; 1 = aggravation de la crise ; + à +++ selon le niveau d’amélioration : un peu / moyennement / beaucoup.

Recueil des goûts musicaux

Le questionnaire utilisé (cf ANNEXE VII) est le Hartsock Musical Questionnaire (cf ANNEXE VIII), que nous avons traduit littéralement. Il est rempli par l’investigateur en discutant avec le couple patient/aidant, et en s’inspirant si possible de la discographie présente à domicile.

Ajustement du matériel et des conditions d’écoute

A partir des gouts musicaux, une liste d’écoute est réalisée par l’investigateur, gravée sur un CD envoyé par courrier accompagné de la liste des titres des œuvres. La liste d’écoute est réalisée à partir d’une base de données d’œuvres populaires d’une période de 1960 à 2000, ou d’œuvres populaires de référence, dont des œuvres classiques. En accord avec les travaux de Sakamoto et Guetin (67,77), les listes sont réalisées par une approche combinée basée à la fois sur les préférences musicales individuelles des patients et sur les propriétés musicales propres aux œuvres choisies, selon les problématiques liées à la nature et l’expression spécifique et individuelle des crises. Elles sont donc adaptées en fonction de la symptomatologie des crises survenant au domicile durant l’étude. Par exemple, si la crise est du registre de l’agitation, les musiques retenues pour être écoutées sont en majorité « douces et calmes », et à l’inverse, si les crises sont plutôt de type intensément apathique avec prostration, les musiques seront plutôt rythmées et entrainantes. Du fait du grand nombre de situations de crise possibles, les musiques choisies sont très variées.

Évaluer les effets de l’écoute musicale en conditions naturelles nécessite de s’absoudre d’un cadre contraignant au domicile. Il s’agit de réduire au maximum les exigences vis-à-vis de l’aidant, qui freineraient participation et observance. Le matériel d’écoute doit donc être facilement déplaçable afin d’être transposable très rapidement à toute pièce du domicile, et le plus simple possible d’utilisation pour l’aidant. Il est également important que la musique puisse être audible et écoutée à la fois par le patient et par l’aidant. S’il n’existe pas au domicile de matériel d’écoute adapté aux exigences de l’étude (simplicité, rapidité, et ubiquité d’usage), il est proposé la mise à disposition d’un lecteur CD portatif léger avec haut-parleurs intégrés, déplaçable au sein du domicile, dont l’objectif est l’utilisation la plus simple et rapide possible.

Il est expliqué que l’écoute musicale n’impose rien au patient, qui peut poursuivre son activité en cours, l’arrêter, ou en débuter une autre. Il ne faut pas forcer l’attention du patient sur le nouveau stimulus auditif, mais le patient peut y être sensibilisé si besoin par l’aidant. En pratique, l’aidant enclenche la diffusion de musique et observe les réactions du patient. La durée d’écoute est laissée au jugement de l’aidant. L’aidant remplit l’agenda immédiatement après le début de l’écoute, puis à la fin de l’écoute. Il lui est demandé de respecter autant que possible la structure de l’agenda, toute remarque éventuelle étant consignée sur l’agenda.

4.2    Phase test de T0 à T1

Intégration et ajustement de l’étude au domicile

Dès réception du CD commence la période d’intégration et d’ajustement, jusqu’au prochain rendez-vous avec l’investigateur, fixé par téléphone à réception du CD. Cette période est fixée à environ 1 mois. Durant cette période, l’aidant se familiarise avec la méthodologie de l’étude : il s’exerce à repérer et identifier les crises, identifie comment se servir en pratique de l’écoute musicale comme proposition de solution, note les crises et l’effet de l’écoute dans l’agenda. Les données doivent être notées selon une procédure précise et ne doivent pas être incomplètes ou ambiguës.

L’aidant identifie au cas par cas durant ce mois d’essai les musiques qui conviennent le mieux en fonction des situations. Nous misons ainsi sur un appariement naturel entre musiques choisies pour l’écoute et effets attendus de l’écoute selon les types de crises : en identifiant les différentes situations de crise, les choix d’écoute par l’aidant devraient s’ajuster logiquement en fonction des propriétés des différentes musiques de la liste, essentiellement dans la dimension de l’éveil (stimulation/apaisement), mais aussi en fonction du plaisir et des émotions induits et ressentis (78). L’objectif est au final de définir, autant que possible, quel titre est le plus utile/efficace face à un comportement ou à une situation de détresse donnée.

4.3  Deuxième consultation = T1 = inclusion

Environ un mois après réception de la liste d’écoute, l’investigateur veille à ce que la méthodologie ait été bien comprise et correctement appliquée. L’agenda des crises est revu et son usage réexpliqué si besoin. Pour un usage d’une liste d’écoute la plus simple et personnalisée possible, les données de l’agenda et les remarques de l’aidant sont prises en compte : la liste d’écoute est réduite à l’essentiel (titres à conserver pour l’écoute), ou revue et/ou réajustée, au cas par cas. Si la réalisation d’un deuxième CD est nécessaire, le premier CD est récupéré. C’est à l’issue de cette consultation que débute le relevé des crises qui constitueront la matière de l’expérimentation pendant 3 mois et sera soumis à l’analyse statistique.

4.4  Expérimentation en conditions naturelles = T1 à T2

Cette période est fixée à 3 mois : de T1 (ou à réception du CD s’il est prévu que la liste d’écoute soit revue) jusqu’à la troisième et dernière consultation à T2. Durant cette période, chaque situation de crise identifiée par l’aidant doit si possible enclencher un remplissage de l’agenda et une écoute musicale. Il est proposé à l’aidant d’être sollicité par téléphone en milieu de période pour faire le point et répondre à d’éventuelles interrogations.

4.5  Troisième consultation = T2 = fin de l’étude

La troisième et dernière consultation à T2 marque la fin/sortie d’étude du couple patient/aidant. L’investigateur récupère l’agenda et le parcourt en présence de l’aidant afin de faire préciser le cas échéant certaines informations incomplètes ou ambiguës qui pourraient être faussement interprétés lors de l’analyse de données.

Un entretien qualitatif est mené avec l’aidant selon trois axes :

  • conditions de mise en œuvre du protocole
  • appréciation globale de l’aidant à propos des effets de l’écoute musicale
  • souhait et envie de poursuivre l’usage de l’écoute musicale

Toute autre remarque est consignée afin de nourrir la recherche qualitative et de la rapprocher des résultats de la recherche quantitative. L’évaluation finale du couple patient/aidant réalisée de la même façon qu’au cours de l’évaluation initiale, avec NPI et miniZarit.

5. CRITERES DE JUGEMENT DE L’ETUDE
5.1  Critère de jugement principal

Le critère de jugement principal a pour objectif d’évaluer l’effet de l’écoute musicale sur les crises. Le critère de jugement principal correspond au taux d’efficacité brut de l’écoute musicale, soit le taux de réponse des crises traitées par l’écoute. Il est donc défini par le pourcentage de crises améliorées ou résolues avec l’écoute musicale dans la population de patients ayant complété l’étude (T1 à T2). Il s’agit du rapport entre le nombre total de crises améliorées ou résolues avec l’écoute musicale et le nombre total de crises traitées avec l’écoute musicale. L’amélioration ou la résolution d’une crise est l’évaluation d’un effet positif de l’écoute musicale par le libre jugement de l’aidant : une crise est « améliorée ou résolue » selon l’évaluation subjective de l’aidant et ne dissocie pas l’effet propre de l’écoute musicale d’un effet éventuellement lié à l’histoire naturelle d’une crise.

Ce taux d’efficacité sera qualitativement pondéré par la fréquence d’usage spontané par les aidants de l’écoute musicale lors de l’ensemble des crises identifiées (nombre total de crises notées/nombre de crises traitées avec la musique).

5.2  Critères de jugement secondaires

Effet de l’écoute musicale sur le fardeau de l’aidant

Il est établi par les pourcentages de variation du score global du miniZarit entre T1 et T2 pour l’ensemble de la population et pour chaque couple patient/aidant.

Effet de l’écoute musicale sur la survenue des crises à long terme

Il est établi par les pourcentages de variation du score global du NPI entre T1 et T2 pour l’ensemble de la population et pour chaque couple patient/aidant.

6. ANALYSES STATISTIQUES
6.1  Analyse quantitative

Les données prises en compte correspondent à l’échantillon en intention de traitement. Une analyse descriptive est réalisée pour spécifier la population de l’étude, puis évaluer la pertinence des critères de jugement principal et secondaires. Pour les critères de jugement principal et secondaires, les différences entre groupes sont établies par un test de Fischer pour les variables qualitatives, et par un test de Wilcoxon pour les variables quantitatives. Les tests utilisés sont bilatéraux et au niveau 5%.

Critère principal

  • Calcul du taux d’efficacité brut de l’écoute musicale
  • Calcul du taux d’efficacité des autres modes d’action entrepris
  • Comparaison des taux d’efficacité par comparaison de l’effet noté (EFFET) par rapport à l’utilisation ou non de l’écoute musicale (MUSIQUE) : régression logistique simple (sans covariable autre que la musique) réalisée par un test de Fischer avec calcul de p
  • Appariement sur les facteurs d’interaction « sévérité des crises » (SEVERITE) puis « type de crise » (TYPE de CRISE) : analyses ajustées réalisées par un modèle de régression logistique multiple avec calcul d’Odds Ratio

Critères secondaires

  • Calcul des moyennes des scores globaux des miniZarit et NPI à T0 (avant) et à T2 (après)
  • Comparaison des moyennes avant/après par un test de Wilcoxon
  • Analyses en sous-groupes pour le NPI : comparaison des moyennes des scores de sévérité (F X G = Fréquence X Gravité) avant/après, item par item, en prenant comme seuil un score de sévérité supérieur ou égal à 4
6.2  Analyse qualitative

Au regard des descriptions fournies par les aidants dans les agendas et celles relevées par l’investigateur au cours de l’étude et lors de l’entretien final, les données qualitatives sont analysées individuellement et de manière longitudinale. Une lecture répétitive des entretiens par une analyse

intuitive de contenu thématique permet de relever les verbatim (unités d’analyse). Ces verbatim sont classés en catégories correspondant à l’idée qu’ils véhiculent. Ces catégories sont ensuite regroupées en thèmes et sous-thèmes pour permettre une analyse transversale.

6.3  Recoupement

En pratique clinique au domicile, la probabilité de réponse d’un patient à l’écoute musicale lors d’une crise, quel que soit sa sévérité, que l’usage de la musique soit fréquent ou occasionnel, est le paramètre le plus pertinent. Le taux propre de réponse à l’écoute musicale correspond au taux propre d’efficacité de l’écoute musicale pour un patient donné. On prendra donc en compte les données propres des patients, et on comparera les résultats des patients un à un aux résultats dans l’ensemble de la population, afin de les classer si possible en différents types de répondeurs, en les définissant à priori comme suit :

  • BON REPONDEUR : taux propre de réponse supérieur ou égal au taux d’efficacité brut de l’écoute musicale dans l’ensemble de la population (critère de jugement principal)
  • MOYEN ou NON REPONDEUR : taux propre de réponse inférieur au taux d’efficacité brut dans l’ensemble de la population (critère de jugement principal)

Nous mettrons en lien résultats quantitatifs et qualitatifs pour analyser les caractéristiques des différents répondeurs selon leur type afin de dégager et définir un éventuel profil type.

RESULTATS

Données cliniques

L’étude a été réalisée de juin 2017 à juin 2018, 18 couples patient/aidant ayant été inclus (patients : 10 hommes et 8 femmes). L’âge moyen des patients à l’inclusion était de 77 ans, avec un minimum de 58 ans et un maximum de 89 ans. L’âge moyen des aidants était de 70 ans, avec un minimum à 20 ans et un maximum à 89 ans (11 femmes et 7 hommes).

La moitié des patients de l’étude ont fait des études supérieures et ils ont tous travaillé, avec un âge moyen de passage à la retraite de 60 ans. Parmi les aidants, 15 sont conjoints du patient et vivent au sein du foyer. Les 3 autres sont enfants du patient et vivent à proximité immédiate ou sont présents quotidiennement au domicile du patient.

Le score MMS moyen à l’inclusion était de 16, avec un minimum de 9 et un maximum de 26, avec 7 patients à un stade léger, 6 à un stade modéré, et 5 à un stade sévère. En moyenne, le diagnostic de MA a été porté environ 2,5 ans après le début des troubles constatés par l’entourage. 72% des patients (n=13) bénéficiaient d’un traitement de fond spécifique de la MA (au moins 80% des cas pour les stades légers à modérés, 40% des cas pour le stade sévère), et 22% des patients (n=4) bénéficiaient d’une prescription anticipée d’un traitement psychotrope en cas de crise, dans tous les cas une benzodiazépine. 67% des patients (n=12) avaient un traitement psychotrope de fond autre qu’un traitement spécifique de la MA, dans la majorité des cas un antidépresseur. Plus le stade de sévérité était important, plus les familles bénéficiaient de soins, d’aides et services au domicile (IDE, aide-ménagère, auxiliaire de vie, portage des repas, …), soit 40% des cas pour les stades légers, 66% des cas pour les stades modérés, et 80% des cas pour les stades sévères. 7 patients ne bénéficiaient d’aucune aide au domicile, et 6 patients participaient à un accueil de jour 1 à 2 fois par semaine.

Données concernant les patients et la musique

50% des patients considéraient la musique comme pas ou peu importante dans leur vie, et 50% la considéraient comme importante ou très importante. 33% (n=6) des patients écoutaient quotidiennement de la musique, 17% (n=3) en écoutaient régulièrement, alors que 50% (n=9) n’en écoutaient jamais ou rarement. 8 patients avaient eu un apprentissage musical dans leur enfance, et 11 avaient pratiqué le chant en chorale à un moment donné de leur vie. 4 patients n’avaient eu aucun apprentissage ou pratique de la musique dans leur vie.

Ces données sont résumées dans le TABLEAU 2.

CARACTERISTIQUES DES PATIENTS ET AIDANTS 
Age patients 
Age moyen en années (Min-Max)77.33 (58-89)
Sexe patients 
HommeN=10 (55.6%)
FemmeN= 8 (44.4%)
Age aidants 
Age moyen en années (Min-Max)70.06 (20-87)
Statut aidants 
ConjointN=15 (83.3%)
EnfantN=3 (16.7%)
DONNEES CONCERNANT LA MA 
MMS 
Score moyen (Min-Max)16 (9-26)
Stade de sévérité 
LégerN=7
ModéréN=6
SévèreN=5
Traitement 
Traitement de fondN=13 (72.2%)
Traitement de criseN= 4 (22.2%)
Traitement psychotropeN=12 (66.7%)
AIDES 
Présence d’aides à domicileN=11 (61.1%)
Participation à un accueil de jourN= 6 (33,3%)
DONNEES CONCERNANT LA MUSIQUE 
Habitudes d’écoute musicale à l’inclusion 
Ecoute quotidienneN=6 (33,3%)
Ecoute régulièreN=3 (16,7%
Ecoute rare ou inexistanteN=9 (50%)
Apprentissage instrumental ou chant choralN=14 (77,7%)

TABLEAU 2 : Résumé des principales caractéristiques de la population de l’étude

Des écarts et difficultés liés au protocole ont été constatés. Il s’agissait des cas suivants, aucun n’ayant conduit à exclure les données recueillies auprès des patients pour l’analyse statistique :

  • faible nombre de crises évaluées (en raison de la faible expression clinique de SPC pendant le temps de l’étude ou par défaut de l’aidant à noter) : N=3
  • usage insuffisant de l’outil d’évaluation : N=1
  • difficulté à suivre le protocole : N=2
  • présence non régulière de l’aidant au domicile : N=1
  • changements significatifs concernant le plan d’aide ou l’organisation du domicile : N=2
  • implication des aidants non naturels pour l’usage de l’écoute musicale, à la demande de l’aidant naturel : N=5
  • arrêt prématuré d’évaluation des crises (remplissage de l’agenda) avant la fin de l’étude, 4 aidants n’ayant plus rempli l’agenda après environ 2 mois d’utilisation car les mêmes situations se répétaient et l’utilisation de l’écoute musicale était devenue systématique face à la problématique récurrente

Il a été relevé 261 crises pour l’ensemble des patients de l’étude, avec une moyenne de 14 crises par patient, un maximum de 56 crises chez une même personne et un minimum de 5 crises chez 3 patients, avec 1 patient pour lequel aucune crise n’a été notée.

La classification des crises était la suivante (FIGURE 2) :

  • en terme de type : il a été observé 100 crises à type de baisse de vitalité (apathie), 81 à type d’excès (agitation, déambulation), 58 à type de trouble affectivo-émotionnel (dépression, anxiété), et 22 à type de refus (refus de toilette, refus d’aide)
  • en terme de sévérité : 155 crises de faible intensité (sévérité =1), 66 d’intensité moyenne (sévérité =2), 40 d’intensité forte (sévérité =3)

FIGURE 2 : Répartition des crises par type de crises

L’écoute musicale a été utilisée dans 89% des cas, soit pour 233 crises au total. La musique a davantage été utilisée lors des crises de faible sévérité, avec respectivement 94%, 84% et 75% d’utilisation pour les crises d’intensité faible, moyenne, et forte. Elle a été utilisée en majorité (94% des cas) lors des crises à type de baisse de vitalité, puis dans 89% des cas de crises en lien avec un trouble affectivo-émotionnel, 83% des cas lors des crises à type d’excès, et 81% des cas de crises à type de refus (TABLEAU 3).

Lorsque l’écoute musicale n’a pas été utilisée (N=28), les aidants ont eu recours à des médicaments (N=2) ou à d’autres activités (N=12 : télévision, jeu de société, coloriage, ballade). Dans 14 situations, l’aidant n’a pas entrepris d’action pour enrayer la crise.

   ECOUTE MUSICALE  AUTRE METHODE  TOTAL des crises relevées
Usage selon la sévérité   
FaibleN=147 (94%)N=8 (6%)N=155 (59,4%)
MoyenneN=56 (84%)N=10 (16%)N=66 (25,3%)
ForteN= 30 (75%)N=10 (25%)N=40 (15,3%)
Usage selon le type   
RefusN= 19 (81%)N=3 (19%)N=22 (8,4%)
ExcèsN= 68 (83%)N=13 (17%)N=81 (31%)
Baisse de vitalitéN= 94 (94%)N=6 (6%)N=100 (38%)
Trouble affectivo-émotionnelN= 52 (89%)N=6 (11%)N=58 (22,2%)

TABLEAU 3 : Usage de l’écoute musicale selon le type et la sévérité des crises

  Effet = 0 Effet = 1 Musique = 0 N=12 (42,9%) N=16 (57,1%) Musique = 1 N=54 (23,2%) N=179 (76,8%)    

Le taux d’efficacité des autres modes d’action entrepris, tous modes confondus, est de 57% (16 crises sur 28). Sur un plan purement numérique, les effectifs comparés étant très différents et l’un d’entre eux très faible, la différence d’efficacité entre l’écoute musicale et un ou aucun mode de résolution des crises est statistiquement significative (p = 0,036) en faveur de l’écoute musicale, soit un OR brut à 2,5.

p = 0,036 (Fischer)

OR brut = 2,5 IC (IC 95% : 1,002 ; 5,97)

TABLEAU 4 : Taux d’efficacité en fonction du mode d’action

L’effet de l’écoute musicale varie en fonction du degré de sévérité et selon le type de crises (TABLEAU 5) :

  • en terme de sévérité : les crises de sévérité élevées (n=30) semblent mieux répondre à l’écoute musicale, avec un taux d’efficacité de 83,3% versus 78,6% pour les crises d’intensité moyenne (n=56) et 74,8% pour les crises d’intensité légère (n=147). Ces résultats suggèrent que plus la crise est sévère, plus l’écoute musicale pourrait être efficace en cas de crise. Cette interprétation est à pondérer, car le taux d’efficacité en fonction de la sévérité varie de façon propre avec le nombre de crises observées (faible en cas de crise sévère : N=30), et les effectifs comparés sont très différents. La relation entre effet et écoute musicale étant différente selon la sévérité des crises, une régression logistique multiple a été réalisée avec, comme variables explicatives de l’effet la musique, la sévérité des crises et l’interaction entre écoute musicale et sévérité : l’association pour la variable MUSIQUE après ajustement sur

la variable SEVERITE, dans le cas d’une sévérité élevée, est statistiquement significative (p= 0,02 ; OR ajusté = 20,18 avec (IC 95% : 2,03 ; 305,04)), avec un intervalle de confiance néanmoins très étendu (IC (2,03 ; 305,04)), ce qui est très probablement lié au faible effectif de patients.

  • en terme de type :
    • les crises à type de baisse de vitalité, qui sont les plus nombreuses observées (N= 94), sont associées à un taux d’efficacité de 84%, soit un taux supérieur au taux d’efficacité global de l’écoute musicale (76,8%)
    • les crises à type de refus sont associées à un taux d’efficacité de 100%, mais elles ne représentent que 19 crises sur 233
    • les crises à type d’excès (N= 68) sont associées à un taux d’efficacité de 63,2%
    • les crises à type de trouble affectivo-émotionnel (N=52) sont associées à un taux d’efficacité de 73,1%

La relation entre effet et musique étant différente selon le type des crises, une régression logistique multiple est réalisée avec, comme variables explicatives de l’effet la musique, le type de crises et l’interaction entre écoute musicale et type de crises. Il n’est pas possible de réaliser cette analyse d’association entre la variable MUSIQUE après ajustement sur le variable TYPE car les données de notre étude ne sont pas suffisantes, certains effectifs de nos groupes étant nuls.

 EFFET = 0EFFET = 1TOTAL
TYPE DE CRISE   
RefusN=0N=19 (100%)N=19 (8 %)
ExcèsN=25 (36,8%)N=43 (63,2%)N=68 (29%)
Baisse de vitalitéN=15 (16%)N=79 (84%)N=94 (40%)
Trouble affectivo- émotionnelN=14 (26,9%)N=38 (73,1%)N=52 (22%)
TOTALN=54N=179N=233
DEGRE DE SEVERITE   
FaibleN=37 (25,2%)N=110 (74,8%)N=147 (63%)
MoyenneN=12 (21,4%)N=44 (78,6%)N=56 (24%)
ForteN=5 (16,7%)N=25 (83,3%)N=30 (12%)

TABLEAU 5 : Effet de l’écoute musicale en fonction du type et de la sévérité des crises

Effet de l’usage de l’écoute musicale sur le fardeau de l’aidant

La moyenne des scores globaux du miniZarit à l’inclusion était à 3.65, soit un fardeau modéré à sévère, avec un score minimal de 1 et un score maximal de 6. La moyenne des scores globaux du miniZarit à la sortie de l’étude était de 3.74, avec un score minimal de 0,5 et un score maximal de 6. La comparaison des scores globaux avant et après l’étude ne met pas en évidence de différence significative (p=0,9). L’étude ne permet pas de conclure quant à un effet de l’usage de l’écoute musicale lors des crises sur le fardeau de l’aidant.

Effet de l’usage de l’écoute musicale sur la récurrence des crises à long terme

La moyenne des scores globaux du NPI à l’inclusion était de 43.47, avec un score minimal de 19 et un maximum de 67. A la sortie de l’étude, la moyenne des scores globaux du NPI était de 39.47, avec un score minimal de 5 et un score maximal de 69. La comparaison des scores globaux avant et après l’étude met en évidence une amélioration discrète sans différence statistiquement significative (p=0,17). L’étude ne permet pas de conclure quand à un effet de l’usage de l’écoute musicale lors des crises sur la fréquence de survenue ultérieure de celles-ci.

Effet de l’écoute musicale sur les symptômes lors des crises

En analysant le NPI item par item, il est constaté des seuils moyens de sévérité à priori cliniquement significatifs à l’inclusion (>=4) pour les troubles suivants :

  • anxiété (7.35)
  • apathie (6.41)
  • irritabilité/instabilité de l’humeur (5.41)
  • agitation/agressivité (4.71)
  • comportement moteur aberrant (4.71)
  • troubles dépressifs (4.65)

Parmi ces items avec sévérité significative, la comparaison des scores avant et après l’étude met en évidence :

  • une amélioration discrète des scores sans différence statistique significative pour les troubles symptômes dépressifs (4.65 à T0 ; 4.06 à T2 ; p=0,2) et anxiété (7.35 à T0 ; 6.18 à T2 ; p=0,4)
  • une différence statistique significative pour le trouble apathie (6.41 à T0 ; 4.53 à T2 ; p=0,03)

La totalité des verbatims relevés est portée en annexe (cf Annexe X). Ils ont été classés en catégories correspondant à l’idée qu’ils véhiculent, puis regroupés en thème et sous-thèmes, comme détaillé ci-après. Certains sont relatés ci-après.

Interrogés à propos des conditions de mise en œuvre du protocole, les aidants ont rapportés des points positifs et négatifs :

Points positifs

  • Simplicité du protocole : la majorité des aidants (N= 16) a souligné la simplicité du protocole, le confort de ne pas avoir à se déplacer et de l’avoir « à portée de main ». Ils ont apprécié qu’un matériel soit mis à disposition et/ou que les morceaux aient été choisis
  • Outil thérapeutique sans risque : l’écoute musicale « ne peut pas faire de mal » (N=12)

Points négatifs

  • Tenue de l’agenda : la moitié des aidants a trouvé que le suivi écrit de l’agenda pouvait être contraignant
  • Difficulté à l’usage de la musique ou à agir en situation de crises (N=5)
  • Evolution de la maladie : 2 aidants ont évoqué le fait que l’évolution de la maladie influence l’expression clinique des SPC (P17 : « les crises étaient bien présentes il y a quelques années ») et qu’elle puisse moduler l’effet de l’écoute musicale (P18 : « maintenant que la maladie est avancée, j’ai l’impression qu’il y a moins d’effet »)
  • Lassitude de l’aidant

Concernant l’envie ultérieure de se servir de l’écoute musicale, tous les aidants qui ont perçu un bénéfice sont enclins à prolonger l’expérience de l’écoute musicale en cas de crise, mais également en dehors des situations de crise.

L’analyse des données des agendas des crises et des entretiens de fin d’étude concernant l’évaluation de l’écoute musicale par l’aidant a permis de mettre en évidence des effets à la fois sur le couple patient/aidant et dans leur entourage.

EFFETS AU NIVEAU DU PATIENT

  • Effet à valence émotionnelle positive

Chez certains patients, l’écoute musicale a apporté au patient du « plaisir », de la « joie », ou du « réconfort », clairement exprimés par l’aidant. 10 patients sur 18 ont manifesté au moins une fois une émotion positive, parfois physiquement, ce qui a été reprit en ces termes par les aidants :

« ferme les yeux et sourit » (P2) « ses yeux s’éclairent, pétillent », « sourires », « son visage s’éclaire » (P7, P18) ; « rit de bon cœur » (P16) ; « écoute avec plaisir et me dit c’est bien, s’arrête et me dit merci (P17).

  • Effet moteur

L’écoute musicale a pu avoir un effet notable sur l’éveil général et sur la motricité de certains patients, donnant de l’impulsion pour démarrer une journée, stimulant les patients apathiques, relançant leur entrain. Les patients se mettaient alors spontanément à chanter ou danser sans y être accompagnés, comportement qui pouvait se poursuivre en dehors des moments d’écoute (P2 : « j’ai constaté que depuis l’écoute du CD, mon mari reprend les airs diffusés à la radio et chante volontiers, ce qu’il ne faisait pas avant. Il siffle même, ce qu’il ne faisait plus depuis des années »).

  • Effet apaisant et anxiolytique

L’écoute musicale a permis d’apaiser ou rassurer certains patients, permettant de résoudre les moments d’anxiété, d’apporter du calme ou de la sérénité (P1 : lors d’une séance d’orthophonie à la maison, se trouve face à un exercice qu’elle trouve fastidieux et qui génère rapidement de l’angoisse et impose l’arrêt de l’exercice. L’écoute musicale est alors proposée. Suite à l’écoute, le patient peut reprendre son exercice, l’achever et poursuivre d’autres exercices. Les séances suivantes seront réalisées avec l’aide de la musique selon le besoin).

  • Effet cathartique

L’écoute musicale a parfois généré un effet similaire à une catharsis, provoquant une véritable décharge émotionnelle à valeur libératrice. Le langage émotionnel véhiculé par la musique semblait prendre le relais d’un langage parlé défaillant et permettre la libération d’émotions difficilement exprimables (P7 : « j’essaye de trouver le titre qui exprime son ressenti du moment pour la libérer, pour dégager la parole de l’émotion, et je sens que ça lui fait du bien »

  • Effet maïeutique

L’écoute musicale a pu avoir un effet maïeutique, selon la théorie de la réminiscence (« pour faire ressurgir des vies antérieures les connaissances oubliées »). Ce phénomène a été constaté chez plusieurs patients (P17 : « la musique, c’était ma jeunesse », « il chante l’air et se rappelle de l’avoir joué au piano »).

  • Effet d’ancrage

L’écoute musicale a permis d’ancrer certains patients dans la réalité, en renforçant les capacités attentionnelles, valorisant la communication patient/aidant, soit en améliorant la qualité de la communication, soit en renforçant le lien (P1 : « j’étais dans mon monde avec ma pathologie, et elle était maladroite ; mais maintenant, avec la musique, il n’y a plus de problème », « c’est comme si j’avais une pelote de laine emmêlée et que je sais plus où j’en suis, et quand j’écoute la musique le fil se dénoue et je n’ai plus qu’à le suivre »).

EFFETS AU NIVEAU DE L’AIDANT

  • Effet salvateur

L’écoute musicale a été vécue par certains aidants comme une véritable béquille, un soutien. Les aidants trouvaient alors en la musique un outil d’accompagnement qui les « sauve » de situations pour lesquelles ils ne savaient pas comment réagir. Ce sentiment était d’autant plus fort qu’il était inattendu, comme en témoigne les appels spontanés d’aidants à l’investigateur (N=3) (P14 n’avait pas du tout d’habitudes musicales jusqu’à l’instauration du protocole : « je voulais vous dire qu’elle n’a plus du tout le même comportement. Elle n’est plus du tout pareil, c’est fantastique, ça l’a complètement changé »).

  • Effet modérateur

Certains aidants ont pu profiter de l’écoute musicale pour gérer les situations avec plus de

« calme » et de « patience », s’énerver moins rapidement. L’écoute musicale peut ainsi être utile à l’aidant même quand elle ne l’est pas pour le patient (P12 : « il semble complètement indiffèrent à la musique, mais moi ça me calme »).

  • Effet hédonique

De la même façon qu’elle peut procurer du plaisir au patient, l’aidant peut trouver une réelle satisfaction à l’écoute de la musique, indépendamment de l’effet qu’elle exerce sur le patient.

EFFET GLOBAL SUR LA PRISE EN CHARGE ET EFFETS CONNEXES

  • Ritualisation de l’écoute musicale

Chez certains patients, l’écoute musicale a pu être intégrée comme outil thérapeutique à part entière. Elle est même devenue un rituel dans leur quotidien et leur permet d’anticiper les troubles récurrents. Ainsi, 8 aidants ont pris l’habitude d’utiliser l’écoute musicale de manière systématique face à une problématique récurrente (P7 : « avant, on écoutait de la musique pour passer un bon moment, mais depuis l’étude, c’est un rituel : le matin et le soir, le matin 3 à 4 fois par semaine devant une baisse de vitalité, le soir face à l’angoisse de la nuit qui tombe, ça permet l’apaisement et le coucher ».

  • Réduction du recours à la pharmacopée

Pour un patient, l’écoute musicale a permis une réduction spontanée de la consommation d’antalgiques et de somnifères (P3 : tous les matins depuis le réveil en musique, il n’y a plus besoin de paracétamol pour calmer les douleurs, et c’est bien approuvé par les aides-soignantes du SSIAD » ; « je ne lui ai pas donné de somnifère depuis 2 mois ».

  • Effet mobilisateur et lien transitionnel

Dans certains cas, l’écoute musicale a créé des liens formels comme informels autour du patient et des aidants, et permis parfois de mobiliser des membres de la famille non impliqués jusque-là (P2 : « notre fils a voulu faire une liste d’écoute lui aussi, et avec ses enfants, ils ont chanté des chansons à mon mari. C’est nouveau. »).

Pour 5 patients, un aidant non naturel a été sollicité par l’aidant naturel et a intégré l’outil dans sa pratique propre (P3 : « même les auxiliaires de vie s’en servent »).

L’écoute musicale a pu également permettre, de la même façon que le permet un « objet transitionnel », le vécu non angoissant d’une séparation (P7 : l’aidant utilise la musique pour « éviter la solitude » et permettre « de mieux gérer les moments de séparation »).

Des sous-analyses individuelles du critère de jugement principal ont été réalisées afin d’obtenir les taux propres de réponse de chaque patient à l’écoute musicale, et tenter ainsi les classer en différents types de répondeurs en fonction de leur probabilité de réponse. Nous avons pris en compte les écarts au protocole pour cette analyse, et nous avons donc exclu les patients pour lesquels il était difficile de conclure en raison de :

  • nombre insuffisant de crises évaluées en raison de la faible expression clinique de SPC pendant le temps de l’étude ou par défaut d’usage de l’aidant (P4 et P5)
  • usage insuffisant de l’outil d’évaluation (P9) ou difficultés clairement exprimées à suivre le protocole (P6 et P15)
  • présence non régulière de l’aidant au domicile (P18)
  • changements importants concernant le plan d’aide ou l’organisation du domicile (P6 et P10)

Au final, 11 patients sur 18 sont classables (TABLEAU 6). Un répondeur a été défini en tenant compte du taux d’efficacité de l’écoute musicale dans l’ensemble de la population (critère de jugement principal : 76,8%) : en considérant une marge d’erreur de 5%, le taux seuil de classement en répondeur retenu est de 72% de réponses positives chez un individu.

  • 8 patients sont de bons répondeurs (P1, P2, P3, P7, P8, P13, P14, P17)

La ritualisation spontanée de l’écoute musicale dans leur quotidien au domicile est un corollaire du bénéfice éprouvé.

  • 3 patients sont moyens ou non répondeurs (P11 et P16 ; P12)
 TAUX DE REPONSEUsage (en %)Nombre de crises
Bon répondeur   
Patient 110010016
Patient 21007121
Patient 31001007
Patient 89010010
Patient 148610056
Patient 13837217
Patient 7809316
Patient 17729734
Moyen ET non répondeur   
Patient 11621008
Patient 16331009
Patient 1201005

TABLEAU 6 : Classement des répondeurs selon leur taux de réponse

Le groupe des bons répondeurs est caractérisé par une très grande variété de situations, qui ne semblent donc pas en représenter des déterminants :

  • tout stade d’évolution de la maladie
  • toute expression de symptomatologie psycho-comportementale à la condition de présence de symptômes d’anxiété (NPI)
  • fardeau significatif de l’aidant, quel que soit son degré
  • tout type et toute sévérité des crises

Le groupe des bons répondeurs se caractérise, dès le début de l’exposition à l’écoute musicale, par une dynamique initiale potentiellement prédictive d’une bonne réponse ultérieure maintenue :

  • une première expérience d’écoute positive et 5 premières expositions dans un temps rapproché (7-10 jours), pour une durée d’écoute d’au moins 15 mn
  • une utilisation fréquente de l’écoute musicale en cas de crise : plus de 3 fois sur 4 quand une crise se présente

Le profil potentiellement prédictif d’être un bon répondeur à priori, avant l’exposition à l’écoute musicale, est le vécu d’au moins une expérience musicale passée significative :

  • la pratique d’un instrument de musique, essentiellement dans la jeunesse
  • la pratique du chant en chorale
  • l’écoute musicale fréquente

DISCUSSION

1. DISCUSSION DE LA METHODE
1.1  Choix du sujet

Après avoir fait le point sur la littérature à propos des interventions musicales à visée thérapeutique dans le domaine de la MA et le constat de la quasi inexistence de travaux réalisés au domicile, l’intérêt d’une étude clinique développée au domicile a paru évident. Les études d’évaluation de l’écoute musicale ont en effet été réalisées majoritairement dans le cadre d’établissement d’hébergement de type EHPAD ou bien d’accueil de jour (37) alors que 60% des patients atteints de MA vivent à leur domicile (79) et que les politiques de santé publique veulent d’une part favoriser un aménagement de la vie au domicile des patients, c’est-à-dire la simplifier pour les rendre plus autonomes, d’autre part font la promotion d’approches complémentaires non médicamenteuses et enfin encouragent l’implication des aidants (13,18). Les patients qui vivent à leur domicile ont aussi moins d’opportunités que les résidents d’EHPAD à participer à des activités musicales parce qu’ils ne sont pas en contact avec les professionnels proposant ce type d’activités. Par ailleurs, l’utilisation de la musique n’est pas d’usage courant dans le milieu médical ambulatoire alors qu’elle présente des atouts indéniables, largement documentés par des travaux de neurosciences et de psychologie cognitive. L’originalité et la singularité de notre sujet d’étude est donc l’occasion de mettre en lumière l’intérêt de l’écoute musicale, peu connue des patients et des professionnels de santé, en tant qu’outil thérapeutique complémentaire à domicile au service des patients et des aidants.

Nous avons évoqué le cadre du domicile comme une dimension complexe car interindividuelle et avec des dynamiques fluctuantes, ne se prêtant pas aisément à une méthodologie de recherche même exploratoire, en particulier auprès de couples patient/aidant qui doivent surmonter le défi d’une adaptation permanente de la vie au quotidien. D’autre part, en tant que médecin généraliste, la discordance entre « ce qu’il faut faire pour le patient » a priori — selon les références scientifiques —, et ce que l’on peut réellement mettre en place dans l’intimité des familles est une question courante. Privilégier une approche naturaliste avec les aidants nous semblait donc primordial, car au plus proche de la réalité du quotidien des patients.

Finalement, nous avons tenté de limiter les biais qui, en conditions naturelles, sont multiples et difficilement contrôlables (80) en faisant appliquer un protocole rigoureux selon les principes des études cliniques interventionnelles descriptives ; ceci dans le cadre d’une étude exploratoire.

1.2  Choix du protocole d’écoute musicale

L’ensemble du protocole a été établi et suivi avec le directeur de thèse, le Docteur Gérard MICK, et a bénéficié des conseils complémentaires de plusieurs praticiens de terrain, et notamment du Dr Bernard CROISILE. En tant que médecin généraliste remplaçante au moment de la réalisation de l’étude pour laquelle j’ai été l’expérimentatrice principale, ma formation à la méthodologie qualitative et quantitative a été réalisée à la Faculté de Médecine de Lyon.

Le protocole d’étude s’appuie sur trois qualités :

  • autonomie au domicile : participation centrale de l’aidant permettant son intégration au projet de soins et de vie de son proche (temps de préparation pour l’agenda des crises) ; utilisation d’un matériel (lecteur CD transportable avec haut-parleurs) permettant un maintien des repères sociaux et familiaux ; collecte de données (agenda) permettant d’améliorer la communication et d’adapter la prise en charge aux besoins évalués ;
  • conservation des caractères identitaires des participants : réalisation de listes d’écoute personnalisées faisant écho au vécu relationnel et affectif du couple patient/aidant (préférences musicales), permettant le renforcement de l’estime de soi et prenant en compte les problématiques individuelles liées à la symptomatologie des crises (choix des œuvres en fonction de leurs propriétés musicales propres) ;
  • respect du bien-être : choix d’une approche sans effet latéral potentiel, qui présente des atouts indéniables pour le patient et l’aidant.

Le choix du type d’intervention musicale auprès des patients a été fait en accord avec les conclusions des études de Garrido et Chang (62,64). Il s’agit d’une intervention personnalisée et répétée sans présence d’un thérapeute. Les modalités d’écoute musicale ont été choisies de façon à rendre optimale son efficacité au regard des contraintes d’une étude se déroulant au domicile sans professionnel. Nous avons vérifié l’adaptation de notre protocole à l’objectif visé, en nous aidant des recommandations faites par Raglio dans son modèle d’intervention structuré nommé « Global Music Approach-Dementia » (61), en particulier le temps d’évaluation initiale des besoins et des capacités du couple patient/aidant (première consultation), afin de proposer une approche musicale adaptée. Néanmoins, la vérification répétée de l’intervention et de son évaluation a été limitée (deuxième consultation, relance téléphonique), du fait de l’unicité de l’expérimentateur et de ses propres contraintes de temps et de déplacement. Raglio préconise par ailleurs d’ajuster l’approche globale en fonction de l’évolution clinique de la maladie et des résultats obtenus, à partir du postulat que plus la maladie est évoluée, plus la prise en charge doit être individualisée. Notre étude recouvrant tous les stades de sévérité de la maladie, nous aborderons plus loin la question de savoir en quoi l’approche musicale a pu être bénéfique pour différents profils de patients, mais avec une réserve pour les stades de sévérité évolués.

La préparation des listes d’écoute musicale a été réalisée en intégralité par l’investigateur principal. Bien que la sélection des œuvres musicales, adaptées aux préférences et problématiques individuelles, a été facilitée par la formation musicale de l’investigateur, il est facilement envisageable pour la pratique courante de déléguer cette tâche à une personne formée à cet effet, par exemple un professionnel intervenant dans le cadre d’un ESAD ou d’un SSIAD (psychomotricien, psychologue, auxiliaire de vie, etc.), ou un(e) infirmier(e), éventuellement de pratiques avancées (IPA) (81). Une expérience pilote d’IPA en médecine générale dans le champ des troubles cognitifs est d’ailleurs en cours, coordonnée par l’Hôpital des Charpennes et soutenue par l’ARS dans le cadre de l’action européenne conjointe « Act on Dementia » (programme INFIMEGE), afin de réduire la charge de travail des médecins, de faciliter le parcours de soins des patients, en aidant entre autres au repérage et à l’évaluation multidimensionnelle des troubles cognitifs. Il est possible d’envisager que ce type de programme s’étende aux soutiens des prises en charge au domicile, et qu’un IPA soit en charge d’une partie du protocole d’écoute musicale, comme la réalisation des listes d’écoute.

1.3  Recrutement de la population de recherche et échantillon

Le recrutement hospitalier n’a pas été pourvoyeur de participants comme attendu, les familles des patients consultés ayant souvent manifesté de l’étonnement vis-à-vis de la proposition, par un médecin spécialiste des troubles cognitifs, de participer à une étude évaluant une approche non médicamenteuse dans le cadre d’une thèse de médecine générale réalisée en ambulatoire. Concernant le recrutement en ambulatoire, la participation des médecins généralistes de l’Ouest Lyonnais a été discrète (8 patients sur 14 sélectionnés) : bien qu’enthousiastes lors de présentation de la recherche, il a été difficile pour la majorité de fournir, dans le temps imparti, une liste de patients cibles au sein de leur patientèle. L’élargissement de la sélection aux acteurs paramédicaux a été la plus prolifique, avec 10 patients sur 19 patients sélectionnés. Ce constat interroge sur la place du médecin généraliste : renforcé par la proximité des acteurs paramédicaux (IDE, psychologue, psychomotricienne, auxiliaires de vie), il devrait être le mieux placé pour agir efficacement et de façon convaincante au regard des problématiques des patients exposées par les familles ; en tant que coordonnateur des soins, il arbore une position a priori idéale pour orienter vers une prise en charge adaptée (82). Cette position devrait lui permettre d’adresser des patients aux chercheurs, ou d’orienter vers les interventions complémentaires.

Sur 33 patients sélectionnés, seuls 18 ont été inclus, 7 couples patient/aidant ayant refusé de participer à l’étude. L’approche téléphonique par un interlocuteur non connu, même sur recommandation préalable d’un soignant, a pu être un frein à l’adhésion des familles. Les autres justifications au refus ont été l’impossibilité à mettre en place le protocole à ce moment précis de leur vie ou de l’évolution de la maladie, du fait d’un épuisement ou par manque de temps. L’importance de la bonne temporalité, du moment opportun dans la vie du patient, à la fois pour le diagnostic et pour l’adaptation de la prise en charge, a été largement évoqué avec la notion de diagnostic et prise en charge « en temps voulu » (« timely ») (7,16).

Les données de prévalence de la MA rapportent que les femmes sont plus fréquemment touchées que les hommes (60/40)(34). L’échantillon de notre étude ne prend pas en compte ce ratio (10 hommes versus 8 femmes). Ces résultats sont à confronter aux caractéristiques de la population d’aidants : 11 femmes sur 18 aidants. Ainsi, a contrario de la population des patients, celle des aidants reflète la répartition de ceux-ci en population générale (68% d’aidants sont des femmes (22)). Le principal décisionnaire au sujet de la participation à cette étude étant l’aidant, il était d’autant plus important que la population de notre étude soit au moins représentative en ce qui le concerne.

L’échantillon de notre étude est trop faible pour être représentatif de la population générale, mais il est équilibré au regard des divers stades de sévérité de la maladie (cf résultats partie 1). Il s’agissait ainsi de recueillir des données auprès de patients aux tableaux cliniques différents et habitudes musicales variées en vue d’obtenir un large éventail de données pour une éventuelle application à la pratique courante ambulatoire. Il est en effet important de souligner que l’échantillon est varié en terme d’« appétence » à la musique. Il est évident qu’une population sensibilisée à la musique, par exemple un ancien musicien professionnel ou une famille aux habitudes d’écoute musicale affirmées, est a priori plus à même de participer et de répondre positivement durant l’étude.

1.4  Recueil des données et analyse statistique

Le fait qu’une même personne ait réalisé à la fois la sélection, l’inclusion, et le suivi des patients au cours de l’étude interroge sur la neutralité de l’évaluation : devant un investigateur unique, les réponses des aidants ont pu être inhibées ou exagérées selon leur rapport au praticien. Elles ont également pu être influencées par le fait que le recueil de données a été réalisé en présence du patient et de l’aidant : les aidants ont parfois exprimé le souhait de ne pas évoquer certaines choses devant leur proche malade ou ont reconnu avoir volontairement omis des informations ou bien sous- estimés leurs difficultés, afin de ne pas risquer de perturber davantage leur proche.

Concernant l’observation des crises et leur évolution avec l’écoute musicale, le fait qu’un aidant donné soit le seul évaluateur implique de prendre en compte une subjectivité, stricto sensu celle d’un jugement de la réalité qui n’appartient qu’à l’individu seul, laquelle ne peut donc être transposable aux autres aidants participant à l’étude. Cette subjectivité prend en revanche tout son sens dès lors qu’il s’agit de mettre en œuvre d’un protocole en conditions naturelles, et devant répondre aux difficultés d’un proche très bien connu (proche malade).

De plus, la méthodologie ne dissocie pas l’effet propre de l’écoute musicale d’un effet éventuellement lié à l’histoire naturelle d’une crise : une telle dissociation pourrait être envisagée par la réalisation d’un temps d’analyse des crises en amont de l’introduction de l’écoute musicale, afin de pouvoir évaluer l’évolution naturelle caractéristique d’un type de crise donné chez un individu donné, le cas échéant ; ou bien être compensée par un bras contrôle.

D’un point de vue statistique, il aurait pu être intéressant de prendre en compte dès le départ l’hétérogénéité des patients en terme de crises, quand bien même l’échantillon de population serait représentatif. Dans notre analyse, on considère que les différentes crises d’un même patient sont à priori indépendantes les unes des autres, hypothèse difficilement vérifiable et non forcément juste : il aurait fallu prendre en compte la corrélation naturelle entre les différentes crises d’un même patient. En raison d’un échantillon trop faible, cette analyse n’a pas été retenue par le service de biostatistiques de la Faculté de Lyon Sud qui a été consulté pour le choix des analyses statistiques.

1.5  Propositions d’amélioration

La mise en œuvre du protocole dans un cadre exploratoire a permis de tester les limites de sa faisabilité en conditions naturelles. L’expérimentateur a ainsi relevé les écarts au protocole (cf résultats 2.1), et les aidants ont manifesté leurs difficultés (cf résultats 4.1). C’est pourquoi nous proposons des pistes d’amélioration.

Densité de la première consultation

L’aidant a parfois eu du mal à retenir toutes les informations transmises lors de la première consultation. Nous proposons donc de la dédoubler : un premier temps dédié à la formation de l’aidant, qui pourrait s’ensuivre — comme suggéré précédemment — d’une première période de relevé des crises, sans proposition d’écoute musicale ; et un second temps dédié à l’évaluation de l’écoute musicale, avec poursuite du relevé des crises et avec cette fois avec introduction de la nouvelle modalité thérapeutique. Un tel déroulé permettrait de prendre en compte l’évolution naturelle des crises et de mieux évaluer l’efficacité à long terme de l’écoute musicale sur la survenue des crises.

Nous proposons également de réaliser un mémo à destination des aidants et familles, récapitulant les différentes étapes du protocole, afin qu’il puisse se situer à tout moment dans le déroulé.

Neutralité de l’évaluation quantifiée du couple patient/aidant

L’évaluation initiale et finale, quand elle a été réalisée avec l’aidant par l’investigateur en présence du patient, a été probablement un frein à la libre expression de certains aidants. Nous proposons de réaliser l’évaluation quantifiée du couple patient/aidant en présence de l’aidant seul, ce qui permet une évaluation plus neutre et plus fiable. Elle pourrait s’intégrer au sein de la consultation dédiée que préconise l’HAS dans le cadre du suivi médical des aidants naturels (74).

Usage de l’agenda

Des remarques ont été faites à propos de l’agenda, incitant d’une part à le simplifier, d’autre part à y intégrer une partie propre à l’aidant, qui permettrait l’évaluation de son vécu et des effets de l’écoute musicale sur lui-même.

Niveaux d’acceptation et capacités de gestion de la maladie par les aidants

Selon le stade d’acceptation de la maladie par l’aidant, le suivi du protocole par celui-ci a pu être altéré (en particulier, difficultés à l’usage de la musique ou à agir en situation de crises), et entrainer l’évaluation d’un faible nombre de crises et/ou un usage insuffisant de l’outil musical. L’introduction d’un nouvel outil thérapeutique dans un quotidien déjà en recherche de repères n’est en effet pas simple, notamment quand le patient est anosognosique. L’aidant lui, peut osciller entre déni, permissivité, ou acceptation passive des conséquences de la maladie. Citons des verbatims qui illustrent ces différentes postures : « je suis pas sûre que ce soit adapté, car il n’y a pas de problème,

il n’y a pas de vraie crise, ce sont plus des situations de panique » ; « on n’a pas tout ça, il n’est pas malade … nous, on a accepté la maladie » ; « il ne faut pas qu’elle voit l’agenda, sinon elle va être méfiante et avoir des suspicions sur moi, et ça va être pire » ; « elle prend conscience qu’elle ne se souvient pas des paroles, et c’est pire » ; « maintenant, je suis habitué à son état, je ne vois plus cela comme un problème ».

Stade évolutif de la maladie

L’efficacité de l’écoute musicale peut varier en fonction des stades d’évolution de la maladie, car ils influencent directement l’expression clinique des crises. Il serait intéressant d’évaluer à quels stades de sévérité de la MA la musique parait être la plus bénéfique, et à quels stades se situent les répondeurs potentiels et les meilleurs. Dans notre étude, chaque stade de sévérité est représenté, et tous les patients semblent bénéficier d’avantages liés à l’écoute musicale, l’aidant faisant face à des difficultés propres selon le stade. Par exemple quand la maladie est à un stade léger à modéré, l’anxiété ou l’angoisse peuvent être présents de façon quasi permanente, et il peut être difficile pour l’aidant de savoir quand entreprendre une « gestion de crise ». Par ailleurs, quand la maladie est à un stade très avancé, la communication verbale étant restreinte voire inexistante, l’aidant a du mal à évaluer certaines situations et donc les effets potentiels d’un outil thérapeutique.

Au-delà du tableau clinique qui est fonction de l’évolution de la MA, laquelle fait donc varier l’intérêt de l’écoute musicale en terme de besoins face à de potentielles « crises », les capacités musicales sont-elles préservées à tous les stades chez les patients atteints de MA ? La littérature s’est enrichie ces dernières années à ce propos avec notamment des travaux de neuro-imagerie qui mettent en évidence le fait que l’aire cérébrale la plus impliquée dans la mémoire musicale est l’une des zones les plus tardivement atteintes lors de la progression de l‘atrophie cérébrale (83), ce qui explique des constats de préservation de la mémoire musicale lors de processus pathologiques affectant la plupart des fonctions mnésiques (84), même à des stades d’évolution avancés de la MA (59).

Répercussions du bénéfice éprouvé

L’évaluation des crises a été arrêtée prématurément dans plusieurs cas. Bien que la ritualisation de la méthode puisse être considérée comme un corollaire du bénéfice éprouvé, celle-ci a probablement conduit à une sous-estimation de ce bénéfice. L’implication d’aidants non naturels à l’usage de l’écoute musicale a, dans ces cas, parfois été encouragée à la demande de l’aidant, ce qui renforce en revanche le sentiment de confiance alloué à l’outil et place toute personne aidant au domicile en position d’usager potentiel.

2. DISCUSSION DES RESULTATS
2.1  Description des crises et usage de l’écoute musicale

En terme de type, la répartition des crises constatées et relevées par l’aidant durant notre étude correspond à celle retrouvée dans la littérature. Elle se superpose notamment à celles des 499 patients en ambulatoire de l’étude REAL.FR (21) : l’apathie est le symptôme le plus fréquent, suivi de l’agitation, puis de l’anxiété et de la dysphorie (cf RESULTATS partie 2.2).

On aurait pu penser que plus les crises étaient sévères, plus l’aidant serait perturbé et plus il aurait recours au mode d’action proposé par l’étude. Or, l’écoute musicale a été utilisée en majorité pour des crises d’intensité faible (94%), qui sont cependant les plus nombreuses observées (cf résultats partie 2.3). De façon similaire, on peut s’interroger sur le type de crises les plus perturbatrices pour l’aidant et analyser les modalités d’usage de l’écoute musicale : les taux d’usage selon les types de crises sont proches, avec un usage supérieur pour les crises correspondant au type de baisse de vitalité et de trouble affectivo-émotionnel. Cependant, il est difficile de tirer des conclusions quant aux facteurs prédictifs de l’usage de la musique par rapport à la symptomatologie des crises : rappelons que l’usage de cet outil est laissé au libre arbitre de l’aidant, et qu’il dépend à la fois de sa faculté à identifier les crises, de son propre vécu de chaque situation, et de son seuil d’acceptation et de tolérance face à celles-ci, autant d’éléments qui peuvent fluctuer selon le moment. Ainsi, il faut signaler qu’a postériori, l’usage de la musique peut être davantage relié au vécu de son efficacité qu’au degré de sévérité, au type, ou à la fréquence des crises traitées ou identifiées : plus la musique est ressentie comme efficace ou utile, plus elle utilisée ; ceci est corroboré par le fait que si elle n’apporte rien au cours des premières semaines d’étude, elle est abandonnée. Ces remarques renforcent l’intérêt pour un outil rapidement ressenti comme efficace, quelles que soient les caractéristiques cliniques des crises observées.

2.2  Efficacité de l’écoute musicale

L’écoute musicale est sur le point d’être considérée comme une approche thérapeutique proposable aux personnes âgées atteintes de MA. Ses effets ont récemment été filmés dans un documentaire intitulé « Alive Inside », qui montre les réactions de patients écoutant une musique préférée (85). En tant qu’intervention non pharmacologique, l’écoute musicale vise à contrecarrer les mécanismes sous-tendant les comportements inappropriés, plutôt que d’inhiber ceux-ci avec des médicaments, augmentant ainsi la qualité des soins et offrant le bénéfice d'une meilleure communication entre soignants et patients.

Les auteurs de revues de synthèse sur le sujet rapportent que l’écoute musicale est une intervention sûre et peu coûteuse, qui produit des effets positifs sur le comportement, l’agitation, l’humeur, et la cognition. La majorité de la littérature publiée concerne des patients occupant des établissements de soins de longue durée. Alors que les travaux de Vink (2011), Baird&Samson (2015), et plus récemment de Zhang (2017) et Van der Steen (2018) résument ce que l'on sait sur le rôle et l'impact de l’écoute musicale dans la vie quotidienne des personnes âgées atteintes de MA vivant en institution, ceux de Spiro s’intéressent aux opinions des aidants formels et informels quant à l’usage de l’écoute musicale : les résultats suggèrent que le développement mutuel des pratiques de musicothérapie et des orientations des politiques publiques en matière de soins non pharmacologiques aux personnes atteintes de démence pourrait être bénéfique pour l’ensemble de la population de patients. Constatant, avec l’écoute musicale, une réduction de l'agitation et de l'anxiété qui favorise en même temps la qualité de l'interaction entre l'individu et son aidant, ils concluent à une amélioration de la qualité de vie des personnes (56,58,59,82,86,87).

Toutes les revues de littérature sont, en vertu de ses effets positifs, en faveur de l’écoute musicale sur les SPC, en particulier les symptômes dépressifs et l’anxiété avec, pour Van der Steen une réserve quant à l’agitation et l’agressivité, ce qui diffère des résultats d’autres études qui, elles, observent une réduction de l’agitation pendant et immédiatement après une période de musicothérapie ou d'écoute (69,70). Si les tendances sont positives concernant l’amélioration du bien-être et de la qualité de vie (56,87), les effets sur la cognition sont en revanche plus incertains (59,72,87). Il faut préciser que dans la majeure partie de la littérature, le champ de la cognition exploré est réduit à la mémoire, avec des effets peu marqués de la musique, voire absents. Mais les résultats sont différents si l’on inclue l’orientation, la concentration, le jugement, le langage, et les capacités d’abstraction en tant qu’aspects de la cognition, où l’on retrouve alors une influence positive de la musique (88).

En somme, l’ensemble de la littérature place l’écoute musicale comme outil thérapeutique accessible et efficace pour les personnes atteintes de MA. Alors que le cadre institutionnel d’application est largement documenté, il est important de transposer cette approche au domicile, ce qu’étudie Elliott dans un travail récent : dans la mesure où les résultats soutiennent les recherches antérieures visant à démontrer les avantages de l’écoute musicale pour les personnes atteintes de MA, les auteurs concluent à l’importance et l’intérêt de poursuivre la recherche au domicile. Il y est notamment question de réduction de l’agitation (69,89), d’amélioration de la cognition (88), et de bien-être social accru : l’écoute musicale semble favoriser les interactions sociales et la connexion avec les aidants, renforcer l’implication de nouvelles personnes, et faciliter la communication dans le couple en tant qu’alternative à la communication verbale (90–92). Notre étude s’inscrit directement dans cette ligne, avec des résultats concordants, notamment en terme d’efficacité sur les SPC.

Symptômes psycho comportementaux

Les résultats numériques illustrant l’efficacité de l’écoute musicale doivent être considérés en tenant compte d’effectifs comparés très différents (crises avec versus sans traitement à l’étude), l’un d’entre eux étant très faible. Le résultat numérique principal (taux de réponse) suffit cependant à l’échelle du groupe de patients, même de faible effectif, pour montrer, sans comparaison, que la technique est efficace (cf RESULTATS 3.1).

L’analyse ajustée montre une tendance : plus la crise est sévère, plus l’écoute musicale est efficace. Dans la mesure où l’on pourrait considérer a priori que plus une crise est sévère, plus elle est réfractaire à une intervention thérapeutique, ce résultat suggère un bénéfice supplémentaire à la pratique de l’écoute musicale. Cependant, rappelons que le taux d’efficacité varie de façon propre avec le nombre de crises observées, les effectifs comparés sont très différents, et aucune étude de la littérature ne permet à ce jour d’étayer cette hypothèse.

Une autre tendance se dégage en faveur d’un taux d’efficacité supérieur pour les crises à type de baisse de vitalité (apathie). Ce résultat peut être rapproché de ceux issus de la sous-analyse des items du NPI, qui évalue l’effet de l’écoute musicale sur les symptômes lors des crises (critère de jugement secondaire, cf RESULTATS partie 3.3) : le score de sévérité pour le trouble apathie est le seul qui est significativement amélioré avec l’utilisation de l’écoute musicale, le trouble apathie correspondant au même type de crise, c’est à dire les crises de baisse de vitalité. Les symptômes anxiété et troubles dépressifs, de type trouble affectivo-émotionnel, sont également améliorés, mais sans différence significative.

L’étude de Park, seule étude d’évaluation au domicile, a étudié l’effet de deux sessions hebdomadaires de 30 minutes d’écoute musicale au moment de pics d’agitation chez 15 patients, ce pendant deux périodes de deux semaines, sur une période totale de huit semaines. Elle montre une réduction des niveaux d’agitation pendant l’écoute et après l’écoute, par rapport à ceux observés avant l’étude (69). Cette étude n’évalue pas les SPC dans leur ensemble mais seulement l’agitation, type de crise (excès) qui dans notre étude ne paraît pas modifié par l’écoute musicale. En revanche, nos résultats sont en accord avec les résultats d’autres études d’évaluation de musicothérapie réceptive en institution. Les travaux de Raglio soulignent les mêmes tendances que celles révélées par notre étude, avec une réduction des scores de NPI globaux chez 120 patients déments (notamment dans la catégorie anxiété) sans différence statistiquement significative entre l’utilisation de la musique (écoute musicale ou musicothérapie active) et des soins dit standards (sans écoute) (66). Sakamoto et al, avec de plus petits échantillons (n=13), montrent un effet préventif positif de l’écoute musicale systématique (10 séances à raison de 30 mn/semaine) sur les scores de perturbation affective et anxiété (échelle BEHAVE-AD) (67), tout comme Sung (échelle anxiété RAID) et Guetin (échelle d’Hamilton, échelle de Cornell) (68,77). Bien que les protocoles d’écoute et les critères de jugement soient différents, les résultats de ces études sont en cohérence avec les nôtres en ce qui concerne l’effet bénéfique de l’écoute musicale sur les troubles à type de baisse de vitalité et affectivo-émotionnels. Les études les plus récentes, qui évaluent un programme musical individualisé  à  destination  de  patients  institutionnalisés,  toutes  démences confondues (Music&Memory), confirment un effet positif de l’utilisation de l’écoute, avec notamment des taux de réduction significatif des troubles de comportement, aucune différence statistiquement significative n'étant cependant observée à long terme (93,94).

Le recoupement de nos données quantitatives et qualitatives a permis une analyse de la population de notre étude en tant que bon ou mauvais répondeur. Nos résultats rapportent certes une majorité de bons répondeurs (8 patients), mais également trois moyen ou non répondeurs. L’objectif était d’analyser les caractéristiques des différents répondeurs afin de dégager et éventuellement définir un profil type, permettant un repérage et une sélection de patients répondeurs a priori, à la fois pour d’ultérieurs travaux de recherche mais surtout pour la mise en place d’un protocole thérapeutique simple en pratique clinique.

Alors que l’on peut raisonnablement supposer qu’une appétence particulière pour la musique, ou qu’une expérience musicale significative, peuvent être des facteurs prédictifs, il ressort néanmoins de notre étude que certains patients n’ayant aucune expérience de pratique musicale (instrument ou chant) ou d’habitudes d’écoute musicale ont répondu de façon très positive. Nos résultats suggèrent qu’un bon répondeur est simplement un patient pour lequel l’écoute musicale a été utilisée fréquemment, au cours d’une période brève mais de façon répétée, et que la première expérience d’exposition a été d’emblée positive. Le groupe de bons répondeurs étant caractérisé par une grande variété de situations qui ne semblent pas en représenter des déterminants, un large usage de l’écoute musicale semble justifié.

Fardeau de l’aidant

Nos résultats ne permettent pas de conclure quant à un effet de l’écoute musicale sur le fardeau de l’aidant. Les travaux de Guetin suggèrent une diminution de la charge ressentie de l’aidant, évaluée par une grille Zarit (version à 22 items), et ceux de Sarkarmo montrent une diminution du score de stress psychologique de l’aidant par le test GHQ-12 (General Health Questionnaire) ainsi qu’une réduction de la charge de l’aidant, évaluée avec une grille de Zarit plus développée que celle utilisée de notre étude (version à 12 items) et sur une durée plus longue (6 mois) (72,77).

Les conditions de réalisation du protocole et de recueil de données (NPI et MiniZarit) ont pu favoriser une mauvaise estimation des résultats bruts : l’aidant a pu minimiser son fardeau ou la symptomatologie des crises, par peur de troubler son proche malade ou par gêne envers l’examinateur principal. Dans l’objectif d’une meilleure évaluation du fardeau de l’aidant, il serait intéressant d’utiliser une grille de Zarit plus détaillée afin de préciser les données, mais aussi de laisser l’aidant procéder au remplissage de la grille sans supervision d’un examinateur ni en présence de son proche malade. Par ailleurs, la durée de l’étude et la petite taille de l’échantillon limitent la portée de l’analyse statistique.

2.3  Multiplicité des effets de l’écoute musicale : fantasme ou réalité ?

L’opinion selon laquelle « Music is medicine » semble remonter à des temps anciens où la musique n’était pas considérée et utilisée comme une source de plaisir ou un divertissement. Si les premiers hommes se servaient des sons produits par les mains ou avec des morceaux de bois ou de pierre, pour évaluer les distances en utilisant l’écho afin de faire fuir les prédateurs ou pour invoquer les esprits et apaiser la nature, aujourd’hui les neurochirurgiens utilisent l’écoute musicale pour améliorer leur concentration et les armées pour stimuler les troupes et coordonner leurs mouvements. Outre les rites de sociétés tribales, la musique continue à être utilisée dans nos sociétés contemporaines afin de promouvoir la santé et le bien-être. Jusqu’aux vingt dernières années les effets de la musique étaient mis en avant à partir de simples constats alors qu’aujourd’hui l’ « evidence-based-music intervention » trouve ses explications dans des travaux de neurosciences et de psychologie cognitive (47,49).

Les résultats de notre étude sur le versant qualitatif suggèrent une variété d’effets attribuables à l’écoute musicale (cf RESULTATS partie 4) : à la fois sur le patient (effet à valence émotionnelle positive, effet moteur/dynamisant, effet apaisant et anxiolytique, effet cathartique, effet maïeutique et d’ancrage), sur l’aidant (effet salvateur, modérateur et hédonique), mais aussi sur la prise en charge globale (ritualisation de l’utilisation de la musique, réduction du recours à la pharmacopée)  et  rayonnant  au-delà  du  couple  patient/aidant  (effet  mobilisateur  et  lien transitionnel).

Amélioration de la qualité de vie des patients - Mise en mouvement du corps et des émotions par une symphonie cérébrale

Le résultat principal de notre étude qualitative suggère que l’écoute musicale a des effets positifs sur le patient au quotidien : elle peut moduler son état émotionnel et affectif directement ou par l’intermédiaire de l’émergence de souvenirs, et agir sur sa vigilance autant pour éveiller que pour apaiser. L’écoute musicale a donc des répercussions directes sur la qualité de vie des patients.

L’étude de Sarkarmo conforte ce constat, avec une amélioration significative de la qualité de vie (échelle QoL) supérieure dans le groupe avec écoute musicale par rapport au groupe avec chant et au groupe contrôle sur 89 couples (patient/aidant ou patient/soignant) (72).

Emmanuel BIGAND décrit l’activité cérébrale au moment de l’écoute musicale comme une « symphonie cérébrale » (44). Écouter de la musique implique la coordination de l’activité de nombreux réseaux neuronaux corticaux et sous-corticaux, ce que les études d’imagerie fonctionnelle révèlent par une activation simultanée de nombreuses aires cérébrales survenant lors de la simple écoute de musique, plaisante ou non, au repos complet. De la perception du son à l’oreille jusqu’au cortex auditif avec l’analyse par des aires spécifiques du cortex temporal, la participation de l’amygdale et du cortex orbito-frontal, et jusqu’aux aux émotions ressenties, le « circuit de la musique » est en effet complexe (95).

L’écoute musicale induit des modifications de l’activité cérébrale et neuro-végétative faisant varier la réponse au stress ou la vigilance (effet apaisant et anxiolytique). Écouter de la musique peut modifier le rythme et la profondeur de la respiration, la fréquence du rythme cardiaque, la pression artérielle, et la conductance de la peau (96). De la Rubia montre que l’écoute musicale provoque la diminution du taux de cortisol salivaire et propose de considérer l’écoute musicale comme un outil susceptible de mobiliser un « circuit de l’apaisement » (97).

L’effet moteur de l’écoute musicale suggéré dans notre étude rappelle les réponses spontanées du corps et l’envie irrépressible de bouger avec la musique. Le lien entre rythme musical et mouvement du corps survient dès l’entrée sonore dans le système sensoriel, par le déplacement de liquide dans le système vestibulaire de l’oreille, et il se poursuit avec l’activité cérébrale, l’écoute d’un rythme activant le cortex pré-moteur : les études en neuro-imagerie montrent que la simple écoute d’un morceau de musique sollicite les aires cérébrales motrices, même en l’absence de mouvement corporel (44). Par ailleurs, quand un rythme arbore une pulsation marquée et régulière, les noyaux de la base sont activés (98).

L’effet, décrit dans notre analyse qualitative, à valence émotionnelle positive marquée, est à discuter à la lumière de l’effet hédonique que procure la musique (42,48,50). Les travaux de Zatorre et al. ont montré le lien entre l’euphorie induite par l’écoute musicale, le frisson corollairement provoqué, et la sécrétion de dopamine intracérébrale au niveau du noyau accumbens — et depuis ce noyau jusqu’au niveau cortical. Le circuit de la récompense ainsi activé par la musique intègre aussi le cortex auditif situé dans la partie supérieure du lobe temporal et le cortex orbito-frontal (99,100).

La musique peut également être un inducteur d’émotions à valence négative, parfois intensément ressenties. Lorsque qu’une induction émotionnelle fait écho à la sensibilité émotionnelle propre de l’auditeur, la musique peut avoir un effet cathartique. Pour Aristote, la catharsis est l’épuration des passions qui se produit par les moyens de représentation artistique : en recourant aux « mélodies qui transportent l’âme hors d’elle-même », le spectateur se libère de ses émotions et éprouve « un allègement accompagné de plaisir ». A l’ère contemporaine, en psychanalyse avec Sigmund Freud, la catharsis est tout autant une remémoration affective qu’une libération de la parole, et peut mener à la sublimation des pulsions. Dans le cas des personnes atteintes de MA, le langage parlé est souvent défaillant, et comme le suggère notre étude, l’écoute musicale peut permettre de contourner cette défaillance afin de libérer des émotions difficilement exprimables : elle devient « la langue des émotions » (Kant).

Par extension, la notion de catharsis se rapproche du concept de l’accouchement par la maïeutique. La maïeutique, en philosophie, désigne l’interrogation sur les connaissances : Socrate parlait de « l’art d’accoucher les esprits ». La théorie de la réminiscence exprimée par Platon est quant à elle fondée sur le postulat de l’immortalité de l’âme : si le corps est mortel, l’âme elle, est impérissable, et détient donc toutes les connaissances ; et si l’âme détient toutes les vérités, il y a une méthode pour sa remémoration : la maïeutique peut faire « ressurgir des vies antérieures les connaissances oubliées ». Par analogie, l’écoute musicale prend le relais de la méthode de questionnement socratique afin d’aider un « corps » affaibli qui fait obstacle aux souvenirs de l’âme. Le souvenir apparaît à l’esprit sans que les pensées antérieures à cette apparition, ni les objets observés durant ou avant l’apparition du souvenir, n’y semblent rattachés. Cette théorie de la réminiscence, comme souvenir imprécis où domine la tonalité affective, a été explorée dans le champ de la MA avec les travaux de Platel (52). Il étudie le sentiment de familiarité par exposition répétée à un matériel nouveau : l’impression de « déjà-vu » qui semble témoigner d’une connaissance implicite, mémorisée, bien qu’elle ne puisse être exprimée ou identifiée clairement, devient plus prégnante avec l’écoute musicale. Chez les patients atteints de MA, l’écoute musicale permettrait ainsi l’amorçage affectif et perceptif d’une mémoire défaillante. La préservation de la mémoire musicale à des stades avancés de la MA est une véritable opportunité plaçant l’écoute musicale comme inducteur idéal de la remémoration d’un souvenir : un encodage affectif commun à un souvenir et à une musique ou une émotion induite par l’écoute permet une réminiscence autobiographique forte (101–103). Une hypothèse complémentaire explicative de ces effets est celle de la plasticité cérébrale : le cerveau, sous l’influence d’une exposition répétée à la musique, élaborerait de nouveaux stocks d’informations et de nouveaux réseaux permettant leur communication et leur expression.

Facteur de cohésion sociale et vertu salvatrice : vers une résilience des aidants ?

Le bien-être de l’aidant est un axe primordial dans la prise en charge globale de la MA. Davin et al le soulignent dans leurs travaux de synthèse (26), et l’HAS le confirme en proposant une consultation dédiée au suivi de l’aidant, au cours de laquelle le poids de son fardeau doit être évalué (74). Les travaux de Sarkarmo et Guetin sont en faveur d’une diminution du score de stress psychologique et de la charge ressentie de l’aidant. Les travaux de Dassa, Osman et Lewis sont d’autres preuves de l’intérêt des interventions musicales impliquant les aidants, en termes de répercussions sur leur qualité de vie (92,104,105). En participant à une meilleure connaissance de la pathologie (90,104) et en restaurant la communication (92), les interventions musicales permettent ainsi une interaction accrue entre patient et aidant (91), et apportent aux aidants un soutien indéniable pour mieux vivre la maladie et appréhender leurs difficultés.

Les résultats de notre étude qualitative sont tout aussi encourageants quant aux effets de la musique sur l’aidant (effet salvateur et hédonique), ainsi que sur la relation de communication entre patients et soignants (effet modérateur, mobilisateur et lien transitionnel). L’écoute musicale participe de cette façon à l’amélioration de la qualité de vie des aidants.

Peut-on attribuer à la musique un rôle de catalyseur social ? Notre étude est un témoignage du renforcement du lien entre le patient atteint de MA et ses aidants avec la musique. Par son « effet d’ancrage », l’écoute musicale, en sollicitant les capacités attentionnelles, peut permettre de créer un lien avec la réalité : en « recentrant » le patient dans un cadre au sein duquel les aidants peuvent également se retrouver, l’écoute musicale améliore une communication altérée par les troubles cognitifs. Ce bénéfice peut être renforcé par « l’effet modérateur » constatés dans notre étude : l’aidant principal, profitant du pouvoir hédonique et cathartique de la musique — lorsque celui-ci est identifié —, y trouve un exutoire et mobilise les ressources qui lui permettent de mieux appréhender les périodes de crises. La musique devient alors outil de médiation : elle permet un lien « en cohérence » entre patient et aidant principal afin de favoriser une communication harmonieuse.

Dans notre étude, certaines familles se sont d’ailleurs impliquées spontanément au-delà du cadre patient/aidant principal du protocole. Ce que l’on a appelé « effet mobilisateur » est un argument supplémentaire pour attribuer à l’écoute musicale un pouvoir fédérateur, la réunion d’individus avec et autour d’une personne malade.

Au cours de notre étude, l’écoute musicale a été vécue par certains aidants comme une véritable béquille, un soutien qui les « sauve » de situations auxquelles ils ne savaient pas comment réagir (« effet salvateur »). L’écoute musicale peut être un outil à leur service pour appréhender le stress généré par les SPC et maitriser les conséquences potentielles sur leur bien-être. Plus largement, l’implication de l’aidant au projet thérapeutique de soins de son proche lui permet de développer une stratégie de dépassement. Ainsi, avec un protocole simple mais encadré, qui apporte des connaissances théoriques et rompt l’isolement d’une part, libère la parole et la réflexion à propos de son vécu de la maladie d’autre part, l’écoute musicale se positionne comme un facteur de résilience (104,106). La résilience étant un phénomène psychologique qui consiste, pour un individu affecté par un traumatisme (ici la maladie de son proche) à prendre acte de l’événement traumatique pour ne plus, ou ne pas, avoir à vivre dans la dépression et se reconstruire, l’écoute musicale permettrait à l’aidant d’œuvrer pour sa résilience et donc pour son bien-être.

Sécurisation d’une prise en charge globale

Sans objectif établi sur la consommation de médicaments en cas de crise, l’étude a permis de constater une réduction spectaculaire et spontanée d’antalgiques et de somnifères chez un patient. Dans le cadre de la démence (toutes démences confondues), les études récentes d’évaluation du programme de musique individualisée Music&Memory ont montré une tendance à la baisse de l’utilisation de médicaments psychotropes (93,94). Dans le cadre de la prise en charge de la douleur, l’ensemble de la littérature internationale et des études françaises témoignent du même intérêt de l’écoute musicale (107). De manière générale, l’hypothèse d’une réduction du recours à la pharmacopée par l’utilisation d’approches alternatives, dont l’écoute musicale, est assorti d’une réduction du risque d’effets secondaires et d’interactions et donc d’hospitalisation des patients. La ritualisation de l’écoute musicale, corollaire du bénéfice éprouvé, participe également à cette sécurisation du domicile : créer un cadre qui devient confortable et sans risque.

2.4  Prospective : développer l’écoute musicale en pratique courante

En l’absence de bras contrôle, de randomisation, et d’évaluation en aveugle (comme discuté en première partie de ce chapitre), notre étude n’est pas une étude expérimentale d’efficacité au sens scientifique du terme. En revanche, elle renseigne sur le vécu et le ressenti des patients et des aidants quant à la faisabilité et quant aux bénéfices acquis d’une intervention musicale à domicile. Soutenue par les études antérieures d’évaluation des interventions musicales dans le domaine de la MA, cette étude pilote, en explorant un nouveau protocole d’écoute musicale au domicile, est une démonstration supplémentaire de l’efficacité de l’écoute musicale, autant en terme d’amélioration de la qualité de vie des patients et des aidants, qu’en vue de la possible réalisation de cette approche en ambulatoire. Corollairement, dans quelle mesure peut-on développer l’écoute musicale pour une pratique courante en soins primaires ? À quel moment et à qui la proposer, et comment la mettre en place ?

La souffrance des aidants et leurs problématiques au quotidien doivent être davantage dépistées, en instaurant une consultation annuelle dédiée par le médecin traitant (74). Les aidants consultent le plus souvent lors du suivi de leur proche malade, mais consultent rarement spontanément seul pour évoquer leurs difficultés à domicile. Les médecins généralistes pourraient leur proposer de revenir seul afin d’évaluer leur fardeau et de réfléchir ensemble à des solutions, en leur donnant les clés d’un projet thérapeutique de soins multimodal, qui permettrait à la fois de mieux connaître la maladie et d’améliorer leur bien-être. Les résultats de notre étude soulignent que tous les types de patients peuvent tirer bénéfice de l’écoute musicale (cf RESULTATS 5.), suggérant ainsi que l’écoute musicale pourrait bien être proposée par le médecin généraliste à tout aidant volontaire qui témoignerait de difficultés au quotidien en rapport avec des SPC, quel que soit le degré de son fardeau. Il est néanmoins important de bien cibler les problématiques individuelles et de proposer une prise en charge personnalisée afin d’optimiser l’usage de l’écoute musicale. Notre étude indique que le stade évolutif de la maladie et le niveau d’acceptation de l’aidant face à la maladie sont autant d’éléments qui peuvent moduler les effets de l’écoute musicale. La littérature à ce sujet précise également l’importance de prendre en compte la personnalité (86,108) et l’individualité de chacun (109), en tant que facteurs influençant la réponse à une intervention musicale.

D’un point de vue pratique, la mise en place effective d’un tel protocole nécessite un partage des tâches en cabinet de médecine générale. Le virage ambulatoire entrepris dans le champ de la MA témoigne déjà d’une implication nouvelle du médecin généraliste et de l’équipe de soins primaires dans le dépistage et le diagnostic de la MA (16). En extension du projet de soins conventionnel, il est tout à fait envisageable que le médecin puisse prescrire une approche musicale au domicile et que sa mise en place soit réalisée en coopération avec un professionnel formé (81). Comme avec les aidants et les aidés, valoriser la coopération entre médecins et auxiliaires médicaux permet une optimisation de la prise en charge et une amélioration de la qualité des soins. Il est ainsi important d'explorer davantage la recherche concernant la musique dans le cadre de la prise en charge de la MA en ambulatoire, car elle représente une stratégie humanisée et compatissante, permettant un soutien des personnes atteintes de MA qui vivent à domicile, et de leurs aidants.